Vahan Mardirossian est depuis 2020 à la tête de l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie et chef principal du City Chamber Orchestra de Hong Kong, après avoir dirigé l’Orchestre de Caen pendant de nombreuses années. Figure majeure de la musique en Arménie, son pays natal, pianiste virtuose et fantasque, il a accompagné le violoniste Ivry Gitlis sur les routes, durant les 20 dernières années de sa vie. Est-ce auprès du vénérable maître, artiste exceptionnel, qu’il a acquis cette profondeur musicale et ce sens acéré de l’analyse ? Pour l’heure, il évoque la direction de l’orchestre Royal de Chambre de Wallonie, les défis et l’étonnante vitalité de cet ensemble.
Vahan Mardirossian, qu’est-ce qui caractérise l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie ?
C’est un petit orchestre principalement de cordes, dont le noyau est composé de 12 musiciens, mais dont l’effectif peut monter à 22 musiciens selon les programmes. C’est un orchestre étonnant. Ils obtiennent – même en effectif minimal à 12 – un son plus nourri que de nombreuses formations plus conséquentes, car tous les musiciens jouent comme des solistes, c’est rarissime. Il en résulte que la puissance et la variété des couleurs qu’ils déploient sont proprement étonnantes.
Quelle est la place de cet orchestre dans le paysage musical belge ?
Cet orchestre à cordes est unique en son genre en Belgique. C’est un orchestre historique, qui a plus de 60 ans d’existence et créé par une femme, Lola Bobesco – c’était suffisamment rare à l’époque pour être souligné. Par ailleurs, cet orchestre a une véritable culture des « cordes », qui plonge ses racines dans l’excellence de la tradition du violon belge. D’ailleurs notre violon solo Jean-François Chamberlan est l’un des derniers élèves d’Arthur Grumiaux ! Augustin Dumay qui a longtemps dirigé l’orchestre était aussi un élève de Grumiaux, lui-même l’élève d’un disciple d’Ysaÿe, qui avait lui-même étudié auprès de Vieuxtemps, lequel était à l’honneur de notre dernier concert public, en présence de sa descendante. Nous avons bouclé la boucle !
Cette question de la filiation est importante, car nous contribuons à la transmission d’un savoir-faire exceptionnel et plus généralement au rayonnement des artistes belges et de la musique belge, qui n’a rien de compassée. La vie musicale wallonne (et plus largement belge) est remarquablement vivace et pétillante !
Comment se passe le travail de l’orchestre cette année ?
Nous avons pu donner un concert public la veille du reconfinement ! Depuis, sans concerts, nous nous sommes engagés dans l’enregistrements de concerts dits « live », c’est-à-dire sans public mais dans les conditions d’exécution d’un concert. Ils sont disponibles sur notre site et nous avons une émission sur Télé MB tous les derniers samedis du mois. Cela nous pousse à prolonger le travail jusque dans les dernières minutes d’enregistrement.
Les restrictions sanitaires ont-elles modifié votre travail d’orchestre ?
Pas tellement sur le plan artistique. C’est surtout d’un point de vue pratique qu’il a fallu s’adapter ! D’abord, investir dans l’ingénierie sonore, puis il a fallu résoudre nombre de détails techniques divers …. Je vous donne un exemple concret qui s’est avéré assez cocasse : pour respecter les conditions sanitaires de distanciation sociale, les musiciens sont placés loin les uns des autres, avec un seul musicien par pupitre, alors que, comme vous savez, les musiciens sont normalement deux par pupitre. De fait, chaque musicien doit maintenant tourner sa propre page. Le problème est qu’ils se retrouvaient à tourner leur page en même temps ! Imaginez des morceaux sublimes s’interrompant toutes les deux minutes pour laisser la place à un vacarme de bruissement de pages ! C’est le genre de chose auquel on ne pense pas avant d’y être confronté, mais rassurez-vous, nous avons re-réglé chaque partition et maintenant tout va bien (rires).

Comment concevez-vous vos programmes ?
Pour moi un concert, ce n’est pas seulement des œuvres jouées côte à côte. Le public doit repartir en ayant ressenti et appris quelque chose. J’articule le programme de chaque concert autour d’un thème différent. Les oeuvres correspondent à notre formation et ont, outre leur intérêt musical, une anecdote contextuelle ou historique intéressante que j’explique dans le synopsis du programme.
Et puis, j’ai eu envie de redéfinir la forme des concerts. Au lieu des concerts traditionnels en deux parties avec entre-acte, nous donnons des concerts relativement courts, environ une heure et quart de musique, sans entre-acte… ensuite nous faisons une « after ».
En quoi consiste une « after » ?
Pour le moment, nous n’avons eu l’occasion d’en faire qu’une seule, mais pour ceux qui souhaitent passer encore un peu de temps avec nous, nous faisons un supplément de programme, un moment qui peut être musical ou non, avec des surprises d’autres horizons artistiques, cela peut être le soliste montrant une autre facette de son talent ou un invité d’un autre art – du théâtre ou de la littérature par exemple – mais toujours sur le thème de la soirée.
Le programme de l’after n’est pas annoncé à l’avance, c’est la « surprise du chef » en quelque sorte (sourire). La seule que nous ayons eu l’opportunité de faire a rencontré un vif succès ! L’ambiance de l’« after » a une dynamique et une décontraction tout à fait particulière, et nous avons un public enthousiaste et très réceptif !
Comment renouvelez-vous votre inspiration ?
Je me nourris beaucoup de mes expériences croisées. L’international est très important pour moi. Je suis chef principal du City Chamber Orchestra of Hong Kong et toujours très investi à la direction de l’Orchestre National d’Arménie. J’y côtoie des personnalités, des styles et des répertoires passionnants, dont j’inclus des éléments dans mon travail avec l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie, élargissant encore un peu plus leur répertoire.
Vous avez longtemps été très proche d’Ivry Gitlis disparu récemment, vous a-t-il influencé ? Avez-vous d’autres mentors (ou maîtres ?) ?
C’est indéniable, cet homme a bouleversé ma vie, musicalement et humainement. On a fait le tour du monde ensemble pendant 20 ans alors qu’il était déjà au crépuscule de sa vie mais toujours d’un vitalité extraordinaire. Nous avons beaucoup parlé, sa façon d’être me fascinait, et puis surtout nous avons énormément travaillé ensemble… il a même joué sous ma direction ! C’était un très beau cadeau. J’espère que je serai digne de ce qu’il m’a transmis et je prie pour qu’il soit un peu fier de moi car j’ai appris tellement de lui.
Dans mon panthéon personnel il y a aussi mon maître au piano, Jacques Rouvier, auprès de qui j’ai étudié au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. A ce jour, je ne cesse de redécouvrir, de comprendre, des choses qu’il m’avait dites à l’époque. Plus j’avance, plus je réalise à quel point il avait raison !
Comment voyez-vous l’avenir ?
Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait, mais je sais qu’il y aura toujours une place pour la musique dans ce monde, pour toutes les formes de musique, et que nous, les musiciens, nous ne sommes pas concurrents mais complémentaires…
Retrouvez l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie sur :
https://www.telemb.be/article/classique-du-20-fevrier-2021