Le “Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française” – qui a pour vocation la redécouverte et le rayonnement international du patrimoine musical français (1780-1920) vient d’enregistrer pour son label “Bru Zane” le célébrissime opéra-comique de Charles Lecocq La Fille de Madame Angot (1872) pour sa collection de livres-disques “Opéras Français”. Cet enregistrement a été réalisé à La Seine Musicale, sur l’Île Seguin, du 16 au 20 février 2021 dans le cadre d’une coproduction Palazzetto Bru Zane / Théâtre des Champs -Elysées. Cet opéra-comique sera donné le 30 juin 2021 dans le cadre du 8ème Festival Palazzetto Bru Zane Paris. L’occasion de rencontrer Alexandre Dratwicki, directeur artistique du “Palazzetto Bru Zane” et de cet enregistrement.
Alexandre Dratwicki, pouvez-vous situer le cadre de la collection “Opéras français” dont vous êtes le directeur artistique, et me dire quelle est la place – au sein de cette collection – d’un opéra comique tel que “La fille de Madame Angot”, qu’on ne ne s’attend pas, a priori , à y trouver.
Cela fait presque une dizaine d’années que l’on a décidé au “Palazzetto Bru Zane – Centre de Musique Romantique Française”, de lancer une série de livres-disques intitulée “Opéras Français”. L’idée, comme son nom l’indique, est d’enregistrer des opéras français au sens le plus large du terme, aussi bien romantiques que traditionnels, des tragédies lyriques (origines du grand opéra), mais aussi des genres légers, donc l’opérette, la comédie musicale. Ces genres sont souvent mal aimés, souvent déconsidérés. Mais, dès lors qu’ils sont présentés dans une collection qui sait être élégante et documentée, cela permet de valoriser ces œuvres et de remettre au même niveau d’exigence et d’intérêt des opéras comiques, des comédies, des opérettes, en comparaison du grand opéra et de la tragédie lyrique.
Cette collection, évidemment, s’est d’abord consacrée à des raretés absolues du type “Dante” de Benjamin Godard, ou “Dimitri” de Victorin de Joncières.
Pour nous, c’était également important de nous consacrer à des grands titres du répertoire et de les présenter, éventuellement, dans des versions inconnues. C’est le cas, par exemple, de “La Fille de Madame Angot” de Charles Lecocq, qui est l’un des plus grands tubes de l’opérette de la fin du 19ème siècle et qui a eu certainement un nombre de représentations aussi important que les “Noces de Figaro”, ou qu’ “Il Trovatore” de Verdi, au moins jusqu’à la 2ème guerre mondiale.
“La Fille de Madame Angot” a connu une première version, celle de la création à Bruxelles en 1872, avec une orchestration différente de celle que l’on connait, avec quelques morceaux différents. Et puis, on peut observer qu’ il y a un petit déficit qualitatif en ce qui concerne les enregistrements antérieurs de ce type d’ouvrage.
Certes, il y a une belle version avec Mady Mesplé et Christiane Stutzmann, mais elle a été réalisée dans des conditions techniques qui aujourd’hui sont extrêmement datées. Les montages entre les scènes, la qualité de l’enregistrement, la présence du chœur, les équilibres entre les solistes constituent des problèmes qui, aujourd’hui, sont insupportables à l’écoute ; il faut bien dire aussi que c’est une époque durant laquelle l’articulation du français et la gestion de la langue française étaient différentes, ce qui fait que cela sonne aujourd’hui extrêmement embourgeoisé.
Ce goût de l’époque donne un peu l’ impression, aujourd’hui, que c’est un répertoire désuet. Donc, proposer un enregistrement dans une version inédite, avec des codes stylistiques plus appropriés pour l’oreille d’aujourd’hui, permet sans aucun doute de revaloriser et de remettre au bon niveau d’intérêt ce genre de musique.



Vous avez donc fait le choix d’interprètes “spécifiques” qui correspondent au projet artistique, sous la direction musicale de Sébastien Rouland. Cela impliquait une distribution de très haut niveau, un très haut plateau de solistes.
C’est très important quand on s’intéresse au genre que l’on considère aujourd’hui comme mineur (ce n’est pas moi qui le considère ainsi), de lui donner les mêmes bases qualitatives qu’un opéra tout à fait traditionnel de Massenet ou de Gounod.
On commence par choisir un orchestre de très bonne qualité (l’Orchestre de Chambre de Paris) qui sera enregistré dans une salle de bonne qualité (La Seine Musicale) et des voix de solistes qui ne sont pas des voix abîmées.
Il y a eu, au fur et à mesure du temps, la tradition que l’opérette soit chantée par des acteurs comiques dont on se moque un peu de la qualité vocale ; voire même que l’on insiste sur le fait que certaines voix détruites, ou en passe de l’être, ajoutent une dimension comique au personnage… ça peut être vrai. Je n’ai rien contre le fait de choisir des acteurs pour certains rôles, avec des voix un peu éraillées ou autres, ça peut donner un certain charme ou une certaine dimension comique. Mais je pense que l’on ne peut pas généraliser ce type d’approche.
On a vraiment fait le choix d’avoir des chanteurs comme les ténors Mathias Vidal, Artavazd Sargsyan, et, évidemment, les sopranos Véronique Gens, Anne-Catherine Gillet, qui ont des voix tout à fait capables d’interpréter des grands opéras sérieux et qui sont au zénith de leur forme.



Je préciserais aussi que l’on a tous en tête des enregistrements de chanteurs des années 60/70, même ceux réalisés avec le Capitole de Toulouse. Ces chanteurs se sont rabattus sur l’opérette à un moment où ils n’étaient plus en capacité de chanter des rôles plus exigeants, avec des graves et des aigus…
Ça c’est aussi le drame de l’opérette : que ça devienne une voie de garage pour les gens qui ne peuvent plus faire autre chose. C’est très important de persuader les gens, et j’ai donc adoré persuader Véronique Gens d’aller dans ce sens-là. Les artistes doivent au moment où ils sont à leur zénith, s’engager dans ce répertoire-là. Ce qui permet, ne nous le cachons pas, de durer très longtemps dans la carrière. D’ailleurs Felicity Lott l’a très bien fait et elle a continué ensuite pendant 20 ans.
Je pense qu’il est dommage de s’engager dans cette voie-là quand la voix est finalement déjà abîmée. Ce n’est pas du tout le cas de Véronique Gens.



Quelle est la date de parution envisagée ?
A priori nous allons sortir cette “Fille de Madame Angot” à l’automne 2021, puisque l’on essaie de continuer, malgré la situation pandémique, l’activité d’enregistrements, de recherches, d’éditions de livres, et même d’une manière plus soutenue que d’habitude.
D’abord parce que Madame Bru (fondatrice du Palazzetto Bru Zane) fait confiance à notre productivité, ensuite parce que nous avons la chance de développer au “Palazzetto Bru Zane” des métiers complémentaires à ceux des grandes salles.
C’est une grande chance aussi d’avoir un label, une web radio (“Bru Zane Classical Radio”), un replay vidéo, une base de données (“Bru Zane Mediabase”), des choses qui peuvent exister en temps de pandémie. Les gens ne pouvant plus aller au concert achètent plus volontiers les disques, écoutent plus volontiers notre web radio et lisent plus volontiers notre base de données.
Nous avons des taux de fréquentation de notre web radio depuis 1 an qui ont augmenté de manière sidérale ; donc nous allons vraiment continuer dans ce sens-là.
Cette “Fille de Madame Angot” sera, dans cette énergie, publiée très rapidement après cet enregistrement.



Quels sont les auteurs des textes qui vont accompagner l’enregistrement en cours et qui figureront dans le livre-disque à paraître ?
Les textes ont déjà été livrés pour le livre-disque. On a demandé à Gérard Condé de nous faire un texte sur “La Fille de Madame Angot”. Nous essayons aussi de mettre beaucoup de témoignages d’époque. Parce que, finalement, la meilleure manière de dépoussiérer la pensée d’aujourd’hui sur des œuvres que l’on considère comme datées, c’est de rappeler ce qu’un critique de presse a pu dire le soir de la création, rappeler l’engouement pour certaines pièces au moment où elles ont été données pour la première fois ; parce qu’aujourd’hui on a parfois inventé des histoires, des réceptions décevantes, inventé le fait qu’une pièce n’avait pas eu de succès. Quand on revient aux textes d’origine, à ce qui s’est dit simplement le lendemain de la première de la “Fille de Madame Angot”, on se rend compte qu’on n’a pas pris ça pour une opérette, mais pour un grand opéra comique sérieux et noble.
D’ailleurs la page de titre ne dit pas “opérette”, mais “opéra comique en 3 actes”, c’est-à-dire quelque chose qui se tient à un niveau d’exigence bien plus élevé que la simple opérette de bastringue.
S’agissant de la période actuelle, comment peut-on réaliser cela dans les conditions sanitaires que nous connaissons ?
Pendant le premier confinement tout le monde a été pris au dépourvu sur ce que nous pouvions et ne pouvions pas faire : tout s’est arrêté. Mais ça n’a duré que quelques mois, 3 mois à peine, parce que le milieu de la culture (en tout cas celui de la musique classique) a tout de suite répondu à la crise avec des normes sanitaires extrêmement exigeantes.
Le chœur enregistre masqué et des tests ont été faits. Des disques sont sortis avec des chœurs entièrement masqués, ça n’altère pas la qualité vocale ; c’est suffocant pour les artistes, mais si on veut continuer à travailler…



Le problème de la distanciation fait aussi que les musiciens s’entendent moins bien, donc tout repose sur un chef qui doit gérer une mise en place beaucoup plus chaotique ; mais je dois dire qu’une fois que tout cela a été réglé pendant l’été, le système est maintenant parfaitement rodé et les règles sanitaires sont vraiment adoptées.
Quand on va retrouver une vie normale, ça va paraître luxueux ; mais tout le monde aura appris à travailler comme ça. La qualité n’est pas affectée par ce que nous vivons, les gens sont rodés à l’exercice et habitués à souffrir un peu avec un masque.
Enregistrement de “La Fille de Madame Angot” de Charles Lecocq – Première version Bruxelles 1872,
pour le Label Bru Zane – Collection “Opéra Français”
“La Seine Musicale” du 16 au 20 février 2021
Orchestre de Chambre de Paris
Chœur du Concert Spirituel.
Direction musicale: Sébastien Rouland
Clairette Angot: Anne-Catherine Gillet
Mademoiselle Lange: Véronique Gens
Pomponnet: Artavazd Sargsyan
Ange Pitou: Mathias Vidal
Larivaudière: Matthieu Lécroart
Amarante/Babette/Javotte: Ingrid Perruche
Louchard: Antoine Philippot
Trenitz: Flannan Obé
Cadet/Un Incroyable/Un Officier: David Witczak