Anja Harteros (Floria Tosca) et Marcelo Álvarez (Mario Cavaradossi) © Elisa Haberer / Opéra national de Paris

Tosca : les martyrs de Puccini à Bastille

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Tandis que Thomas Jolly ouvrait la saison lyrique au Palais Garnier avec Eliogabalo, c’est une tout autre illumination qui se déroulait à l’Opéra Bastille qui accueillait une magnifique Tosca de Puccini, faisant l’unanimité du public parisien, aussi bien avec Anja Harteros (qui se fait rare à Paris) que Liudmyla Monasturska dans le rôle-titre. Il faut dire que la distribution, divinement remarquable et éclatante, n’est pas le seul atout de ce mélodrame en trois actes.

 

Avant de devenir un grand succès opératique, Tosca était une pièce de Victorien Sardou que Giacomo Puccini a par la suite mis en musique. Si les premières représentations furent un échec, le monde entier s’émerveille désormais face à ce drame lyrique mettant en scène une grande cantatrice, Floria Tosca, maîtresse du peintre Mario Cavaradossi, dont la jalousie attirera la mort dans une danse perfide et diabolique d’où elle triomphera de l’amour, de la passion et du désir. Aujourd’hui, c’est dans la mise en scène splendide, élégante mais quelque peu écrasante de Pierre Audi qu’il nous est donné de redécouvrir cette merveille.

Le rideau de Bastille s’ouvre sur une passerelle qui émerge d’un ciel nébuleux. L’acte I, plutôt crépusculaire et un peu terne, se déroule dans une église où une croix vient former l’un des murs du bâtiment religieux. Le plateau est éclairé de mille feux par les couleurs variées des arias parfaitement maîtrisées par l’éblouissante distribution, notamment celles du peintre Mario, mises en voix par le ténor Marcelo Alvarez, épatant Cavaradossi, rôle dans lequel il a déjà brillé récemment au Bayersiche Staatsoper de Munich. Son Recondita armonia, divinement céleste, restera l’un des grands moments de cette reprise, tout comme à l’acte III la divine aria E lucevan le stelle (Et les étoiles brillaient) dans laquelle il évoque le doux souvenir de Tosca juste avant son exécution, au pied de la potence. Il parvient sans peine à nous faire verser de chaudes larmes qui s’échouent en silence sur nos joues. Le sublime tableau du Te Deum qui clôt cet acte premier avec la présence majestueuse des chœurs de l’Opéra national de Paris, renforcée par la suite par la Maîtrise des Hauts-de-Seine et le Chœur d’enfants, ne nous laissa pas non plus insensibles. Le tempo allant de la direction musicale nous attrape alors par la main dès les premières notes pour ne plus nous lâcher. Le temps semble suspendu à l’Opéra Bastille tandis que la tension dramatique atteint son point d’apothéose juste avant le tableau final.

Bryn Terfel (Il Barone Scarpia) © Elisa Haberer / Opéra national de Paris
Bryn Terfel (Il Barone Scarpia) © Elisa Haberer / Opéra national de Paris

Dans les deux derniers actes, la gigantesque croix a été redressée et surplombe maintenant le Palais du Baron Scarpia, campé par le baryton Bryn Terfel en très grande forme, faisant admirer sa puissance vocale et son jeu d’acteur fort convaincant. Le symbole d’oppression religieuse trône là comme une menace sur les protagonistes. La mort rôde. Tandis que Mario est torturé, Tosca souffre le martyr. Liudmyla Monastyrska, que l’on avait pu acclamer la saison dernière dans Aïda, est incroyable. D’une grande générosité, aussi bien à l’aise dans les aigus que dans les notes médianes, la soprano ukrainienne nous bouleverse ! Son interprétation de Vissi d’arte est superbement expressive tandis que l’on vibre avec cette femme pour qui « l’art et l’amour étaient toute [sa] vie ». Elle se montre à la fois envoûtante et poignante et ne cessera d’aller crescendo dans les émotions qu’elle offre sans retenue au public, jusqu’à la scène finale où, dans un clair-obscur étincelant, elle marchera vers la mort.

Par bien des aspects, nous pensons à la Rome cinématographique de Fellini ou de Pasolini au cours de cette reprise de la nouvelle production de l’Opéra de Paris datant de 2014. Très attendue, vingt ans après celle un peu désuète de Werner Schroeter, la version que propose Pierre Audi conjugue habilement amour et pouvoir dans une exaltation de nos sens visuels et auditifs. La splendeur de cette production, soulignée par la vivacité et la fluidité de la direction musicale proposée par Dan Ettinger, en fait un grand moment opératique dont nous nous souviendrons durablement.

Professeur des écoles le jour, je cours les salles de Paris et d'ailleurs le soir afin de combiner ma passion pour le spectacle vivant et l'écriture, tout en trouvant très souvent refuge dans la musique classique. Tombée dans le théâtre dès mon plus jeune âge en parallèle de l'apprentissage du piano, c'est tout naturellement que je me suis tournée vers l'opéra. A travers mes chroniques, je souhaite partager mes émotions sans prétention mais toujours avec sensibilité.

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