Les ensembles de musique ancienne ont acquis un tel niveau d’excellence que l’on ne s’attend plus simplement à un concert joué magistralement, mais à un événement, un spectacle. Ce 14 octobre, Vincent Dumestre et son ensemble Le Poème Harmonique, ont offert exactement ce genre d’expérience au public, lors du premier concert d’une saison alléchante présentée par Les Moments Musicaux des Alpes-Maritimes à la Cathédrale Sainte-Réparate de Nice.
Construit comme un cheminement musical vers la cantate sacrée Nisi Dominus RV 608 de Vivaldi qui clôturait le concert, le programme avait pour but de présenter la cantate dans son contexte contemporain en la juxtaposant avec des musiques vénitiennes contemporaines, sacrées, instrumentales et populaires.
L’inclusion de plusieurs laudi, hymnes religieux populaires en langue vernaculaire chantés lors des processions depuis le Moyen Âge, était particulièrement originale. Dumestre et ses collègues sont entrés en scène, défilant en procession depuis l’entrée de la cathédrale, chantant une lauda, accompagnés de guitares, tambours et castagnettes. Ont suivi d’autres laudi embellies par des parties de violon improvisées et très ornementées. L’espace de la cathédrale était utilisé d’une manière créative : les ténors Francisco Mañalich et Benoît-Joseph Meier et le baryton Virgile Ancely chantaient à partir de la chaire, tandis que la soprano Marie Théoleyre laissait flotter sa voix cristalline du sommet du déambulatoire au-dessus du chœur.
À ces œuvres d’une veine populaire, quoique sacrées, s’opposaient des œuvres instrumentales plus savantes : l’angulaire et énergique Sinfonia en fa mineur « Lamento » de Pietro Antonio Locatelli (1695-1764) et la Sinfonia al Santo Sepolcro de Vivaldi.
Les musiciens ont interprété trois œuvres sur le psaume Nisi Dominus : outre celle de Vivaldi, celle d’un compositeur anonyme et celle du castrat et compositeur romain Francesco Severi (1595-1630). Dans cette dernière, la jeune mezzo-soprano Adèle Charvet a exécuté avec brio la colorature rapide qui culmine dans l’exubérant « Alleluia ».

Charvet donna également une magnifique interprétation du Nisi Dominus de Vivaldi. Sa voix jeune et chaleureuse incarne sans doute le type de voix pour lequel Vivaldi écrivit sa cantate à l’Ospedale della Pietà de Venise. Charvet mûrit encore en tant qu’artiste ; on préférerait la voir moins enfouie dans sa partition, mais elle a un don impressionnant pour façonner ses phrasés d’une manière à la fois naturelle et expressive. Dans « Vanum est vobis ante lucem surgere », elle a utilisé une approche douce et voilée qui contrastait avec son timbre plus intense et concentré dans le « Cum dederit dilectis suis », où elle était soutenue par les vagues de sons émanant des instruments à cordes. Le point culminant de la soirée était le mouvement « Gloria Patri et Filio », dans lequel Charvet s’est engagée dans un duo émouvant avec la superbe violoniste Fiona-Émilie Poupard.
Le seul reproche que l’on pourrait faire à ce concert est qu’il fut si court, surtout étant donné qu’il était censé recréer l’atmosphère des processions vénitiennes d’antan qui duraient toute une nuit ! Cependant, Le Poème Harmonique nous a donné une idée de l’alternance entre la ferveur religieuse et le chant populaire joyeux qui caractérisait ces processions. En sortant de la cathédrale, on avait l’impression que les frontières entre l’espace sacré à l’intérieur de la cathédrale et les rues étroites et bruyantes à l’extérieur avaient disparu.