Le "Ring des Cantatas" au Bach Festival de Leipzig 2018 © Gert Mothes
Le "Ring des Cantatas" au Bach Festival de Leipzig 2018 © Gert Mothes

Bachfest 2018 : 33 cantates, 5 chefs d’orchestre, 1 weekend

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Cette année le festival Bach de Leipzig a ouvert ses portes avec un weekend dédié aux meilleures cantates de Bach, dirigées par ses plus illustres interprètes : Sir John Eliot Gardiner, Ton Koopman, Masaaki Suzuki, Hans-Christoph Rademann et Gotthold Schwarz

 

Tout a commencé avec un rêve. Le rêve de John Eliot Gardiner d’interpréter les 30 meilleures cantates de Bach en l’espace de quelques jours.
En 2016 il a fait part de son idée à Michel Maul et Peter Wollny, respectivement directeur artistique et dramaturge du Festival Bach, qui ont accepté de relever le défi. Les trois se sont donc penchés sur la recherche des 30 meilleures cantates sur les 200 qui sont arrivées jusqu’à nos jours.

En comparant ensuite les résultats, comportant beaucoup de choix similaires, une liste de 33 œuvres a été créé, permettant de faire un clin d’œil au 333ème anniversaire de la naissance de Bach et de donner vie à 10 concerts.
Le festival a ainsi présenté une année liturgique entière de cantates en 48h, par les chefs d’orchestre et les ensembles qui, depuis de nombreuses années, les interprètent et les enregistrent.

Les lieux bachiens par excellence comme l’église Saint Thomas et Saint Nicolas, où Bach fut Cantor pendant 27 ans, ont donc été investis par Sir John Eliot Gardiner avec le Monteverdi choir et les English Baroque Solists, Ton Koopman avec l’Amsterdam Baroque Orchestra & choir et Masaaki Suzuki et le Bach collegium Japan. On y a retrouvé également Hans-Christoph Rademann et le Gaechinger Cantorey, et, bien évidemment le «successeur” du plus célèbre Thomaskantor : Gotthold Schwarz, avec le Thomanerchoir Leipzig et le Gewandhausorchester Leipzig.

Le Ring de Cantates : un pari relevé

Si 10 concerts en 48 heures sont un défi pour les interprètes, ils le sont également pour le public, sauf peut-être pour les adeptes du temple de Bayreuth.
Mais les organisateurs du festival ne se sont pas trompés et le cycle rebaptisé en clé Wagnérienne (autre célèbre Lipsien) a non seulement affiché complet depuis des mois, mais a attiré de nombreux visiteurs de partout dans le monde, venus écouter des œuvres qui, comme dit Gardiner, ne sont «aucunement inférieures aux passions”.

Après le concert d’ouverture du vendredi 8 juin, où Sir John Eliot Gardiner, le Monteverdi Choir et les English Baroque Soloists ont fait résonner l’église Saint Nicolas avec les cantates Nun komm, der Heiden Heiland, BWV 61 · Schwingt freudig euch empor, BWV 36 · Wachet! betet! betet! wachet!, BWV 70a · Unser Mund sei voll Lachens, BWV 110, Ton Koopman et le Amsterdam Baroque Orchestra & Choir étaient à l’Église Saint Thomas le lendemain matin.
Les solistes, le contre-ténor Maarten Engeltjes et le ténor Tilman Lichdi, étaient convaincants et engagés, mais on a surtout remarqué la basse Klaus Mertens, au beau legato et au timbre caressant. Il nous a offert une interprétation très prenante, en particulier dans le touchant Ich habe genung, BWV 82 il a incarné l’homme qui attend sa mort en dosant dignité et émotion, accompagné de manière raffinée par le hautbois d’Antoine Torunczyk.

Le "Ring des Cantatas" au Bach Festival de Leipzig 2018 © Gert Mothes
Le “Ring des Cantatas” au Bach Festival de Leipzig 2018 © Gert Mothes

Un esprit d’authenticité
Des lectures de l’évangile ou des épîtres par les pasteurs des deux Églises, ont introduit les différentes cantates à chaque concert, dans une ambiance similaire à celle que la congrégation aurait pu entendre à l’époque de Bach.

Toujours dans cet état d’esprit, des intermèdes ont été rajoutés au programme, comme les Thomaskantors avaient l’habitude de faire. On a donc pu écouter des motets du début du baroque alternés à de superbes pièces tirées de l’anthologie Florilegium Portense, dont sa première édition (de 1618) et les deux suivantes, étaient très populaires dans le répertoire choral de l’Électorat de Saxe et de ses états avoisinants, et Bach en personne les utilisait avec ses élèves.
On remarquera le touchant Surgit illuminare Jérusalem de Hieronymus Praetorius (1560-1629), où les quatre voix surgissant de nulle part, s’entrelacent dans un florilège de couleurs. Sous la baguette de Ton Koopman, l’Amsterdam Baroque Orchestra & Choir était précis et équilibré et son interprétation riche en spiritualité.

Le "Ring des Cantatas" au Bach Festival de Leipzig 2018 © Gert Mothes
Le “Ring des Cantatas” au Bach Festival de Leipzig 2018 © Gert Mothes

C’était ensuite le tour de Masaaki Suzuki, éminent ancien élève de Ton Koopman au conservatoire d’Amsterdam. Son Bach Collegium Japan nous a présenté le côté plus jubilatoire de Bach, avec un Himmels könig, sei willkommen, BWV 182 et un Der Himmel lacht! Die Erde jubilieret, BWV 31 voluptueux et flamboyants.
Si les voix solistes n’étaient pas particulièrement marquantes, sauf celle du ténor Makoto Sakurada, le chœur en revanche a brillé par son éloquence et son entrain. L’orchestre a produit un son à la fois homogène et nuancé et les solistes, placés en premier plan à la différence des ensembles précédents, n’étaient pas en reste, comme dans le duo lumineux et léger du hautbois de Masamitsu San’nomiya et de la flûte à bec d’Andreas Boehlen.

La joie de la résurrection a laissé ensuite la place au chagrin des adieux du Christ, avec la deuxième intervention au marathon de la part du Monteverdi Choir et des English Baroque Soloists sous la baguette de Sir John Eliot Gardiner.

Les musiciens étaient placés donc dans l’abside, car la configuration de l’église Saint Nicolas le permet, à la différence de Saint Thomas, où ils doivent se positionner en hauteur devant l’orgue. Investir de musique les différentes églises a permis ainsi aux spectateurs du Cantaten Ring non seulement d’admirer deux merveilles architecturales où Bach a fait résonner sa musique, mais aussi de profiter de différents points d’écoute.
Le Monteverdi Choir a fait preuve d’une grande maîtrise des nuances, en passant du chuchotement dans Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen, BWV 12 à l’explosion du Ihr werdet weinen und heulen, BWV 103.
Tout était soigné en détail, la prononciation, le rythme, l’expressivité et l’homogénéité des timbres. Chantant par cœur, les solistes nous ont offert des interprétations extrêmement touchantes, même dans les passages les plus difficiles au niveau du rythme ou de la tessiture. On remarquera la voix ample et ronde de Reginald Mobley (et ses remarquables aigus !) et l’éloquence narrative de Peter Harvey du haut du pupitre de l’église.

Le "Ring des Cantatas" au Bach Festival de Leipzig 2018 © Gert Mothes
Le “Ring des Cantatas” au Bach Festival de Leipzig 2018 © Gert Mothes

Le leitmotiv du cycle

Comme le veut la tradition, de nombreuses autres œuvres du compositeur ont été présentées lors des 14 jours du festival Bach : les incontournables Passions, dont celle selon Saint Jean mise en scène sous forme de ballet chorégraphié par Mario Schroeder et créée en 2017, qui sera à l’opéra de Leipzig ; le Clavier bien tempéré avec Nelson Goerner, Robert Levin et Alexander Melnikov au piano et Andreas Steier au clavecin ; les Partitas pour clavier, se terminant en beauté avec les Variations Goldberg par András Schiff, les Suites pour violoncelle solo avec Pieter Wispelwey et enfin les Concertos Brandebourgeois, où Vàclav Luks a dirigé son ensemble Collegium 1704.

En parallèle on a retrouvé des concerts mettant en avant ses contemporains (Georg Friedrich Händel, Reinhard Keiser, Jan Dismas Zelenka) et un autre grand nom de Leipzig, Felix Mendelssohn. Au célèbre compositeur qui initia la redécouverte de Bach, et à sa sœur Fanny sont dédiés 10 concerts, en collaboration avec la maison Mendelssohn.

Bach pour tous
Les Archives Bach de Leipzig étant le plus important centre de recherche sur Bach au monde, une série de conférences et d’introductions aux concerts ont également été organisées autour de la programmation. On a également pu voir des partitions autographes et des premières éditions au Musée Bach. Le musée, où l’on peut admirer des instruments rares et fascinants, tels que le hautbois de chasse, a aussi proposé une exposition temporaire sur les élèves du grand maître et une sélection de leurs œuvres les plus intéressantes. De plus, un Fortepiano a été mis à disposition des visiteurs (sachant lire la musique) pour s’amuser à essayer les méthodes de Bach.
Au delà de la programmation officielle, un festival off a été organisé : de la place du marché jusqu’aux boîtes de nuit le Bach open air a investi la ville en faisant résonner la musique de son plus grand Cantor.

 


Le site officiel du festival

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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