Claire Gibault © E. Grégroire

Claire Gibault : chef d’orchestre engagée

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A l’occasion de la collaboration entre le Paris Mozart Orchestra et Natalie Dessay pour Pictures of America, qui nous invite dans l’univers d’Edward Hopper, nous avons rencontré son chef d’orchestre Claire Gibault : une artiste passionnée, engagée et généreuse.

 

En 2010 vous avez créé le Paris Mozart Orchestra. Pourriez-vous nous en raconter la genèse ?

Pour une femme, diriger une institution culturelle ou être chef d’orchestre est très difficile en France. Du coup en 2010, j’ai décidé de créer mon propre orchestre : le Paris Mozart Orchestra.
Avant, j’avais beaucoup travaillé avec Claudio Abbado, dont j’ai été assistante en Italie, à Covent garden et à Berlin. J’ai ensuite été chef d’orchestre adjoint pour son Orchestre Mozart de Bologne, dont je garde un magnifique souvenir : c’est un orchestre non permanent (même si au final les musiciens sont toujours les mêmes !), où les membres partagent des conceptions artistiques et esthétiques, mais aussi des valeurs humaines. Le Paris Mozart Orchestra s’inspire donc de cet orchestre italien et des valeurs que j’ai découvert auprès d’Abbado.
Avec les musiciens, on a créé une charte qui nous unit et garantit la parité hommes-femmes, l’égalité salariale et un recrutement transparent, car nos auditions se font derrière un paravent. Je suis très contente de travailler avec le Paris Mozart Orchestra, car son fonctionnement est tel qu’il nous permet de travailler plus en profondeur les pièces, et comme avec le temps on se connaît de plus en plus, on peut vraiment aller plus loin.

 

Comment choisissez-vous les musiciens ?

Le noyau dur de l’orchestre est formé par un groupe de musiciens avec qui j’avais travaillé de manière très satisfaisante au Théâtre du Châtelet. Le reste des membres est arrivé par cooptation. Tous les musiciens doivent partager la même éthique et esthétique et convenir du fonctionnement de l’orchestre. C’est un bonheur de travailler avec des musiciens avec qui je m’entends bien et de savoir que ce projet, qui met l’aspect artistique et la fraternité humaine au premier plan, est soutenu.

 

Quelles sont les particularités de la démarche du Paris Mozart Orchestra ?

Il s’agit d’un orchestre engagé. Au delà des concerts plus institutionnels, 50% de nos activités sont de type socio-pédagogique : nous travaillons beaucoup dans les établissements scolaires, les hôpitaux et les prisons dans le but d’amener la musique à des publics éloignés des salles de concert. Les musiciens se retrouvent donc à jouer dans des salles prestigieuses, comme la Philharmonie de Paris, la Salle Pleyel et le Théâtre du Châtelet, mais aussi dans des lieux inhabituels et à l’acoustique médiocre, comme des gymnases ou des cantines.

 

Le projet « Un orchestre dans mon bahut », s’insère dans cette démarche…

Oui, c’est un projet pédagogique pour les académies, les collèges et les lycées, qui nous a permis d’avoir l’aide de plusieurs fondations, de « La France s’engage » et de bénéficier du plan gouvernemental pour la jeunesse.
Nous jouons in situ et nous proposons des projets exigeants et interdisciplinaires, où tous les arts sont à  égalité, comme notre concours de poésie autour de Nicolas de Staël et René Char, qui mélange musique, littérature et arts visuels.

Pour ce genre de propositions, on demande toujours au créateur musical de laisser des portes ouvertes, afin de laisser une part de conception aux enseignants et aux élèves pour qu’ils puissent s’en emparer et les modifier. On se rend également dans les établissements pour rencontrer et dialoguer avec les jeunes. Nous proposons ensuite des démonstrations d’instruments et leur expliquons la musique qu’ils écouteront quand ils seront invités dans une salle de concert. L’année dernière, par exemple, 700 élèves ont pu assister au concert de la soprano grecque Myrtò Papatanasiu.

 

Très rares sont les femmes à exercer le métier de chef d’orchestre. L’étude récente de la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) « Où sont les femmes » montre que les choses n’ont pas changé : 52% d’étudiants en musique sont des femmes, mais uniquement 4% d’entre elles entreprend la carrière de chef d’orchestre. Vous avez toujours milité pour l’égalité…

Ça a été le combat de toute ma vie ! J’en ai également parlé dans un livre : La musique à mains nues, sorti en 2010.
Je fais tout le possible pour encourager les autres femmes à poursuivre cette carrière, à prendre des positions de responsabilité. Dans mes master-class de direction d’orchestre, je vois que j’ai autant d’étudiants hommes et femmes, car en étant femme moi-même, cela donne confiance et encourage les autres.

 

Que conseilleriez-vous aux jeunes femmes qui souhaitent entreprendre votre carrière ?

Je leur suggère de former un petit ensemble pour acquérir l’expérience de la gestique et de la communication, puis être au travail toute la journée afin de développer leur résistance physique.

En ce moment, vous collaborez avec Natalie Dessay pour Pictures of America, qui nous amène dans l’univers d’Edward Hopper. Pourriez-vous nous parler de ce programme ?

Je connais Natalie Dessay depuis le tout début de sa carrière de chanteuse. On avait travaillé ensemble à l’Opéra de Lyon et ensuite à l’Opéra de Paris et on s’était toujours très bien entendues. Pictures of America est son premier album chez Sony Classical, qui comprend des grands classiques du jazz et de la comédie musicale américaine revisités.

Aujourd’hui Natalie est également récitante et actrice, ainsi que vous pourrez le voir dans cette création sur l’Amérique du XXème siècle autour de Scénographies d’Edward Hopper de Graciane Finzi. Cette oeuvre pour orchestre à cordes, récitante et projection, autour des textes du poète français Claude Esteban et des tableaux d’Edward Hopper, lui a été inspirée par l’exposition du grand peintre américain au Grand Palais en 2012.

Pour le spectacle on sera accompagnées par Baptiste Trotignon, Patrice Caratini, Cyril Lehn, Pierre Boussaguet, de grands interprètes de jazz et de comédie musicale. Nous sommes tous très enthousiastes !

 

Quels sont vos prochains projets ?

Nous avons des projets avec deux autres compositrices : Sylvia Colasanti, pour son Orfeo et Edith Canat de Chizy pour Peindre l’inaccessible, sur des tableaux et des textes de Nicolas de Staël. Puis il y aura un travail avec Philippe Hersant autour de Pygmalion sur les illustrations de la dessinatrice Sandrine Revel et plein de projets avec des grands chanteurs et pianistes. Ensuite, je serai également occupée avec le festival Les Autumnales du Mans, dont je suis conseillère artistique.

 


La musique à mains nues : itinéraire passionné d’une femme chef d’orchestre, Paris, Éditions L’Iconoclaste, 2010, 180 p.

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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