Edoardo Torbianelli
Edoardo Torbianelli © Benjamin Travade / Royaumont

Edoardo Torbianelli : pour une interprétation historiquement informée de la musique romantique

6 minutes de lecture

A l’occasion de sa résidence à la fondation Royaumont, nous avons rencontré Edoardo Torbianelli, pianiste concertiste et professeur de piano ancien et d’interprétation du répertoire classique et romantique à la Schola Cantorum de Bâle et dans le cadre du Master des musiques anciennes à la Sorbonne.

 

Quelle est la génèse de votre passion pour les instruments anciens ?

Déjà enfant, comme j’aimais beaucoup la musique médiévale, Renaissance et baroque, j’étais fasciné par les instruments d’époque.
Peu à peu, en visitant des musées et en consultant des livres, j’ai réalisé que les pianos de l’époque de Mozart ou de Chopin étaient très différents de ceux de nos jours.
Je me rappelle qu’à l’âge de 13 ans, lors d’une visite au Musée de la technologie de Munich, je m’étais tellement enthousiasmé pour la collection des claviers anciens que je ne voulais plus quitter la salle. J’avais même insisté une demi-heure auprès du concierge pour pouvoir toucher les instruments !
Lors de mon séjour à Anvers, de 1990 à 1998, j’ai essayé de trouver des occasions pour jouer de pianos historiques et peu à peu le reste est venu…

 

Vous êtes actuellement en résidence à la Fondation Royaumont où vous vous intéressez à la vocalité au piano, en collaboration avec Jeanne Roudet, Keith Chapin et Ulrich Messthaler. Pourriez-vous nous en parler ?

Cette ligne de recherche anime en fait mon activité à Royaumont et s’est développée à partir du dialogue qui s’est instauré à la Sorbonne avec Jeanne Roudet, active dans ce domaine depuis plusieurs années. Nous nous sommes rencontrés lors d’un colloque international en 2010, où elle a reconnu dans mon jeu les résultats tangibles d’une démarche très similaire à la sienne.
Ma recherche se concentre sur la relation entre la vocalité et le jeu du piano, en essayant d’explorer en profondeur différents paramètres, les uns pouvant être assez connus, mais d’autres, plus souvent, inaperçus ou sous-estimés.
“Chanter” au piano c’est le but de l’art pianistique depuis la naissance de l’instrument.
Pour créer l’illusion de la plasticité de la voix il faut trouver des stratégies car l’instrument a des limites mécaniques : il ne soutient pas assez le son et l’intensité de ce dernier ne peut pas être augmentée après la frappe.
Ces stratégies constituent en fait les outils de la technique et de l’esthétique du pianisme des XVIIIe et XIXe siècles. Il fallait d’abord pourtant identifier l’idéal vocal de l’époque, car au début du XIXe on ne chantait pas l’opéra italien comme on le fait aujourd’hui.

C’est sur ces aspects qu’Ulrich Messthaler, mon collègue à la Schola Cantorum de Bâle et expert des techniques vocales du passé, nous vient en aide. Ensemble on essaye de remonter avec la plus grande précision aux modèles vocaux qui ont inspiré la littérature du piano, et d’analyser les notations des deux écritures. Cette étude nous a par exemple permis de suivre, parmi beaucoup d’autres choses, un dialogue extrêmement intéressant à partir des signes utilisés pour certains accents particuliers à donner.

A Royaumont vous avez encadré une formation sur le piano romantique et Chopin. Comment s’est-elle déroulée et comment avez vous choisi les participants ?

Je me suis effectivement occupé d’une formation Chopin pour un public de jeunes pianistes venus de lieux différents.
Les candidatures sont annoncées publiquement, mais on envoie également des invitations directes à certaines institutions, où se trouvent des jeunes musiciens au profil adapté et avec la curiosité nécessaire.

Des artistes ayant suivi un enseignement “moderne” au CNSM de Paris ont participé aux formations, dont quelques-uns qui avaient déjà une expérience avec les pianos anciens. Ces jeunes ont fait preuve de curiosité et de grande disponibilité, ainsi que de beaucoup de talent, mais ils ont aussi montré un énorme intérêt pour une contextualisation plus ample de leur répertoire.
Les journées se partagent entre moments d’information musicologique (exposés, séminaires, discussions…) et de travail à l’instrument, toujours dans une atmosphère de collaboration entre étudiants et professeurs, lesquels assistent souvent aux cours de leurs collègues pour intervenir pertinemment.

En plus à Royaumont il ne faut pas oublier l’importance des… repas ! La cuisine est extrêmement soignée et cela favorise les longues discussions à table, qui ne peuvent que s’avérer très nourrissantes.
Approfondir tous ensemble les questions esthétiques, à la lumière des sources, fait la différence avec le format commun des master-classes, où souvent le professeur est seul à intervenir. Nous privilégions une recherche commune, avec un idéal bien identifié et illustré par des témoignages historiques importants et des suggestions de nature plus ample.

 

La Fondation Royaumont a mis à votre disposition des pianos anciens de la collection d’Edwin Beunk. Qu’est-ce qui vous a particulièrement séduit chez ces instruments ?

Ce qui m’a le plus séduit sont les couleurs, les transparences et la résonance.
Dans son travail de restauration Beunk porte beaucoup d’attention à récupérer la cohésion juste, la solidité et l’élasticité des structures internes, ce qui fait que la sonorité retrouve de la longueur, du soutien et de l’harmonie.

Edoardo Torbianelli © Benjamin Travade / Royaumont
Edoardo Torbianelli © Benjamin Travade / Royaumont

Avec Jeanne Roudet vous enseignez également dans le master d’interprétation des musiques anciennes à la Sorbonne. Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans ce cadre ?

La collaboration avec Jeanne ! C’est une personne extraordinaire, j’apprends beaucoup avec elle et nos échanges sont très fructueux. Il y a une forte synergie entre ma contribution dans la formation à l’instrument et son enseignement de la théorie.
Je suis également enthousiasmé par les possibilités que procurent le rapprochement avec le milieu académique et les recherches les plus récentes, car quand on suit un chemin de travail et de recherche très personnel comme le mien, on a parfois besoin de savoir de quelle manière on traite ces sujets dans le panorama de la recherche “institutionnelle”.

 

Depuis plusieurs années vous vous dédiez à l’œuvre de Chopin, en mettant en relation l’utilisation des instruments d’époque et l’étude des témoignages laissés par son entourage. Quels sont les résultats de votre investigation ?

La recherche est longue et on découvre toujours de nouvelles pistes d’investigation.
Peut-être le résultat le plus satisfaisant (et éclatant en même temps) est le constat que même parmi les héritiers directs du message chopinien (élèves, amis…) on souligne le besoin de trouver un équilibre entre la connaissance, la compréhension de la “tradition” interprétative et la sincérité de sa propre participation, qui se base sur l’intériorité et l’intuition.

Un autre aspect de Chopin auquel je m’intéresse est son processus de conception musicale où d’un côté on retrouve l’influence des mélodies populaires et traditionnelles polonaises, et de l’autre la pratique de l’improvisation. En effet Chopin était un grand improvisateur et il est important de se poser des questions sur la relation entre cette pratique et la notation de ses compositions.

Mes recherches m’ont également donné une vision claire d’un monde sonore que je considère bien plus intéressant que certaines exécutions chopiniennes d’aujourd’hui, même les plus appréciées. Au lieu de privilégier la délicatesse, la légèreté, la poésie, la noblesse, mais aussi le charme et l’élégance de l’époque, on entend toujours des passages un peu agressifs et durs ou d’une lourdeur inutile.
Au-delà d’une évaluation de goût ou de conviction personnelle, je pense que l’interprétation de cette musique doit poursuivre la beauté, la sincérité et le raffinement, tout en gardant la simplicité… Ce qui n’est pas facile !

 

Face au scepticisme éventuel, comment défendriez-vous votre démarche ?

Chacun est libre d’apprécier ou pas. Bien évidemment, je ne prétends pas détenir la seule vérité, mais je peux assurer que ma démarche va en profondeur et n’est pas exagérément univoque.
Face aux sceptiques, je ne peux que défendre l’honnêteté d’une démarche d’authenticité qui n’est pas seulement musicologique et historique.
Je fais donc de mon mieux pour intégrer mes connaissances stylistiques (quelque fois même presque gênantes !) dans ce qu’on pourrait appeler la “communication à travers la musique”… Aussi par exemple les témoignages sonores de l’école chopinienne (voir les fameux enregistrements de Koczalsky, Michalowsky, Rosenthal…) sont une source de travail indispensable, mais à mon avis ils doivent être utilisés pour saisir une certaine énergie ou expressivité, et non en tant que moule sur lequel se juxtaposer.

 

Quels sont vos plans pour le reste de la résidence ?

En compagnie de mon collègue et ami, le violoncelliste Fernando Caida Greco — qui participera à la prochaine formation en juillet 2017 où on préparera la Sonate, nous travaillerons la musique de Chopin et de son entourage parisien contemporain (Hiller, Franchomme, Tellefsen…), en vue d’un concert en octobre 2017.
Ensuite je donnerai une formation sur la musique allemande du XVIIIe, avec un accent particulier sur la “rhétorique des émotions” et j’enregistrerai le programme que j’ai récemment donné au Festival de Royaumont.

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

Derniers articles de Interview