A l’occasion des cent ans de la naissance d’un des plus grands cinéastes du XXe siècle, la production TransenDanses crée l’événement en réunissant trois générations d’artistes représentant la fine fleur de la chorégraphie suédoise : Mats Ek, Alexander Ekman et Johan Inger. Les projections vidéos conçues par Bengt Wanselius servent de fil conducteur aux trois pièces : 4 Karin, Thoughts on Bergman et Memory. Exceptionnel.



Pour 4 Karin, Johan Inger s’est inspiré du court métrage « The Dance of the damned Woman », 1976, œuvre de Ingmar Bergman et de la chorégraphe Donya Feuer. Cette œuvre dansée filmée en noir et blanc met en scène quatre femmes dans un environnement confiné. L’idée était de laisser transparaître les émotions à travers leurs postures, les expressions du visage, leur mouvement.
S’inspirant de ce concept, Johan Inger dispose quatre danseuses dans un espace compartimenté et introduit le thème de la lutte entre les générations pour le pouvoir.
Le discours corporel et la structure hiérarchisée des groupements sont signifiants du rapport d’influence exercé par chacun des personnages sur l’autre. La domination et la force s’expriment dans la puissance de l’ancrage au sol qui permet le geste large, vif, abondant. Les corps s’étirent pour se resserrer dans un volte – face et se déployer à nouveau. Les énergies circulent en vases communiquants dans de superbes moments de successions en écho où les corps à corps, en effleurements prestes le plus souvent, révèlent une vivacité intérieure d’une redoutable consistance. L’expression est mise à l’honneur, inspirée par le Il Ballo delle Ingrate, SV.167 (1608) de Claudio Monteverdi.
A l’instar du cinéaste, Johan Inger reprend le procédé pédagogique consistant à répéter une seconde fois la pièce, précédée d’une courte explication filmée « afin de ne pas rester dans l’ignorance », invitant le spectateur à une perception plus fine. Un bel et efficace hommage.
Thoughts on Bergman est une création solo chorégraphiée et interprétée par Alexander Ekman.
D’une écriture d’une touchante expressivité servie par une technique affirmée, le danseur fait jaillir avec conviction des états de corps qui résonnent comme autant de situations où l’émotion est renouvelée, suivant un imaginaire propre à chacun. Un verbe corporel éloquent et théâtral saupoudré de burlesque comme pour rappeler le goût du cinéaste pour Chaplin.
La musique de Chopin, Nocturne n° 2 op. 9 et les textes d’Alexander Ekman et Ingmar Bergman l’accompagnent tout au long des questionnements et des réponses qui jalonnent la pièce. « Qu’est ce que la danse ? », « quand y a-t-il danse ? ». Les séquences vidéo en fondu enchaînés avec la réalité de la scène font se mêler les situations de manière singulière. Les sens sont sollicités avec talent. La voix d’Ingmar Bergman résonne en filigrane. “… pour le plaisir “, puis encore “… le plaisir de bouger”. En écho, le geste renvoie avec éloquence aux teintes de l’enfance insouciante, à l’univers du jeu et à la grande liberté de mouvement si chers au chorégraphe.
La vie, la joie d’être, la liberté de mouvements auxquelles nous ouvre la danse, la nôtre, sont célébrées ici avec une époustouflante poésie. Pure émotion.



Memory (2000-2018)
L’immense Mats Ek nous offre avec ce duo un moment magnifique de complicité avec la talentueuse et sublime Ana Laguna. Le chorégraphe reprend son thème fétiche : les maux de notre société révélés au travers des difficultés du couple et des petits drames du quotidien inscrits dans l’univers clos de l’appartement. La musique prégnante de Niko Rölcke teinte la pièce à la fois de nostalgie et de révolte, reflétant en écho la dynamique des corps à l’oeuvre. Solitude du couple qui se défait puis se rejoint presque aussitôt dans l’étreinte ou l’affrontement tout aussi éphémère. Une écriture corporelle de confiance au sol, à l’espace, aux espaces. La danse, la vie.
« Dancing with Bergman »
TranscenDAnses, Coréalisation Productions Internationales Albert Sarfati / Théâtre des Champs-Elysées
Chorégraphes: Mats Ek, Alexander Ekman, Johan Inger
Du 09/06/18 au 11/06/18
Au Théâtre des Champs Elysées, 15 avenue Montaigne 75008 PARIS