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Patrice Meissirel, l’authenticité du fragile avec « Tango shortcuts : On achève bien les chevaux »

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Nous avons rencontré Patrice Meissirel à la veille de la programmation de «Tango Shortcuts : On achève bien les chevaux » le 22 septembre 2022 pour le Festival Européen de Tango en Scène F.E.T.E.S.

Créée en 2021 pour la Compagnie Tango Unione dont il est le responsable artistique avec Irene Moraglio, le remake version chorégraphiée de l’œuvre cinématographique surprend et interroge. L’entretien lève le voile sur les arcanes de la démarche créatrice du prolixe danseur et chorégraphe révélé au Championnat de France de tango 2016.

Comment a émergé l’idée d’un remake version chorégraphiée de «On achève bien les chevaux »?

Le spectacle retrace et fait revivre ce qui fait notre quotidien de danseur : succession des performances, frénésie des représentations, au rythme soutenu des résidences, comme la prévalence du « the show must go on !» au détriment de l’épuisement physique et des blessures qui accompagnent la vie de tout danseur. En parallèle, notre expérience des championnats a fortement contribué à l’inspiration. Une frénésie, l’esprit de challenge, de compétition éprouvante.

[…] notre expérience des championnats a fortement contribué à l’inspiration.

Hormis la critique sociale sur fond de crise économique qui tisse la trame du film, celui-ci nous a davantage inspiré pour dresser le décor cadre d’un spectacle, où est mis en scène l’univers de compétition des nombreux championnats de tango auxquels nous avons participé. L’aspect déshumanisé avec le port de dossards numérotés, la sensation de jouer sa vie en quelques minutes, la mise en scène de la souffrance extrême liée à la compétition, comme le manque cruel d’intimité livrant les corps décostumés au regard.

Y aurait-il un propos sous-jacent, délivrer une leçon de vie, une démonstration ?

Il ne s’agit pas de démontrer, mais plutôt de mettre à nu ce qui se passe en coulisses. De nous mettre nous-mêmes dans des positions d’effort et de fragilité. C’est ce qui fait la force de la pièce et qui est très difficile à conserver et à maintenir pendant le processus de création. A la genèse du projet, j’ai retenu le fragile, les moments sensibles et fugaces ressentis dans les ateliers d’improvisation. C’est la part du spectacle vivant qui n’est pas restituée et dont je tente de garder l’authenticité. Les états très sensibles de vulnérabilité sont les aspects qui m’intéressent, montrer l’acte dans le quotidien qui se déroule, l’effort, l’arrière du décor, et non un produit fini esthétique qui en est dénué.

A la genèse du projet, j’ai retenu le fragile, les moments sensibles et fugaces ressentis dans les ateliers d’improvisation.

Sont mises en scène toutes ces composantes d’une allégorie de la vie, du monde du tango : les masques, les étiquettes, l’égo, le besoin d’identifier et d’être identifié, de classement et les parties cachées. Tout cela en affrontement dans ce climat de compétition jusqu’au stade de friction extrême où tout dégénère jusqu’à la bestialité. Puis vient la résolution, la catharsis de toute la pagaille née de cette compétition qui a cessé. La libération, se rejoindre et se soigner par le mouvement.

La pièce donne une part belle à l’incarnation. Ce thème nourrit-il également la matière pédagogique de Tango Unione ?

Oui, nous le faisons d’une certaine manière à destination de nos cours de tango de scène. En effet, on garde à l’esprit la très mauvaise image de ce type de danse en France, en tout cas dans l’histoire du tango, même si ça évolue. Sans se départir des premières composantes comme les codes et les incontournables clichés du tango de scène comme la performance acrobatique, les paillettes, le spectaculaire, l’image machiste, il s’agit de s’ouvrir à diverses voies d’exploration qui vont nourrir la recherche créative. C’est dans ce sens que nous menons nos ateliers de travail en duo, en stimulant la créativité partant d’outils comme la musique, une inspiration, les émulations qui en émanent…

Cette pièce représente-t-elle un aboutissement pour la Compagnie Tango Unione, ou bien un entre deux nécessaire sur son parcours artistique ?

La pièce a atteint sa forme définitive, oui, en tout cas dans sa structure. Car ce spectacle a besoin de se produire à nouveau et de jouer afin d’entretenir la remise en jeu de cette alchimie du groupe qui a bien fonctionné dans la phase de création. Pour maintenir cette histoire de sincérité, réussir à conserver cette énergie, ce dont nous avons le plus besoin, c’est de la diffusion.
Et oui, nous envisageons un nouveau projet auquel nous nous attelons très prochainement.

Comment appréhendez-vous la suite des actions investies jusqu’à présent ? Auriez-vous un espoir à formuler ?

Nous avons découvert avec ce projet un certain rapport aux institutions. Vues en citadelle imprenable pour toute compagnie émergente comme la nôtre, nous avons néanmoins obtenu le soutien de certaines institutions qui nous ont aidés à la création, comme notamment la DRAC Ile-de-France et le mécénat de la Caisse des Dépôts. Nous le savons, la partie diffusion repose énormément sur le partenariat et le réseau institutionnel. Le tango n’a pas encore de reconnaissance en France comme par exemple la danse contemporaine. Ceci étant, nous avons réussi à produire la pièce malgré le chaos de la pandémie et les incertitudes liées aux restrictions sanitaires.

Le tango n’a pas encore de reconnaissance en France comme par exemple la danse contemporaine.

La période de crise sanitaire passée nous a démontrés que la mission d’ordre public à laquelle sont attachés les partenaires institutionnels a été mise à mal et que ceux-ci n’ont pas été en mesure d’honorer leur engagement de diffuser l’art auprès du public élargi sur tout le territoire. Mon espoir est que les danseurs, les artistes, le milieu du tango puissent également gagner en toute légitimité leur part de responsabilité dans cette mission et solliciter le partage de la diffusion.

 

Relisez aussi notre chronique Tango Shortcuts, On achève bien les chevaux au Théâtre Traversière lors de la première parisienne de la pièce le 6 décembre 2021 au Théâtre Traversière.

Plus d’infos sur le spectacle.

La danse dans tous ses champs d’expression est sa fabrique de vie. Sa poésie l’accompagne, imbriquée intimement dans ses domaines d’activités mêlant architecture, expertise en assurance et immobilier, écriture. La passion raisonnée la nourrit dans la sueur des ateliers et de la scène et la façonne en danseuse lucide, pédagogue, notatrice Laban et essayiste. Au-delà de sa vocation patrimoniale, l’écriture est un fabuleux médium de partage d’émotions à savourer et à vivre. Chroniqueuse pour Classicagenda, elle s’ingénie à délivrer au lecteur les stimuli sensoriels tels qu’ils transpirent de l’oeuvre chorégraphique et tente de l’impliquer émotionnellement en le connectant aux perceptions corporelles telles qu’elles jaillissent dans l’expérience visuelle.

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