Vingt ans après sa première mise en scène de Die Zauberflöte au Festival d’Aix-en-Provence avec William Christie et les Arts Florissants, Robert Carsen retravaille sur cette œuvre riche et foisonnante pour revisiter sa production, actuellement reprise à l’Opéra Bastille de Paris. L’occasion de redécouvrir ce Singspiel en deux actes où les contrastes saisissants sont portés par une distribution étincelante qui évolue dans une scénographie épurée, réunissant tous les ingrédients d’un grand succès qui ne se démérite pas au fil du temps.



Le trio de dames découvre Tamino (Stanislas de Barbeyrac) inanimé après une morsure de serpent
Au jeu de dupes, La Flûte enchantée a de quoi rivaliser avec les meilleures œuvres de théâtre. Dans une opposition du Bien et du Mal où chacun se laisse avoir par des apparences bien trompeuses, la bonté, la grâce et la sagesse ne sont pas forcément là où on les y attend.
Le dernier opéra de Wolfgang Amadeus Mozart est un fantastique conte initiatique, tout à tour dramatique ou féérique mais Die Zauberflöte est avant tout un Singspiel, c’est-à-dire une œuvre théâtrale, jouée et chantée en allemand. On y trouve une alternance entre dialogues et arias, le tout dans une dimension populaire, au sens le plus noble du terme. C’est pourquoi nous y retrouvons beaucoup d’humanité et de théâtralité. Dans ce domaine, c’est Michael Volle qui se démarque de ses camarades. Parfaitement dirigé, son jeu d’acteur est irréprochable et sème dans l’air des notes de légèreté et d’humour salutaires. L’oiseleur, avec son sac à dos, sa glacière bleue à la main et son bonnet enfoncé sur la tête, incarne un parfait campeur, terriblement peureux, qui n’a de l’aventurier que la panoplie.
La mise en scène, parfois déroutante de Robert Carsen, fait l’impasse sur la magie du livret d’Emanuel Schikaneder pour n’en garder que l’épure et la sobriété. Nous étions déjà frappés par la modernité de ses Contes d’Hoffmann vus en novembre dernier, également à l’Opéra Bastille. Il récidive ici et met sa proposition en parallèle avec un texte ancien, manichéen qui propose différents niveaux de lecture et d’interprétation. La vidéo et les éléments très contemporains (comme le bruit de la centralisation d’un véhicule pour symboliser le cadenas buccal imposé à Papageno à la suite de son mensonge) cohabitent avec la construction disparate de la musique, puissante, qui glisse peu à peu vers l’émotion et nous touche.
Cette œuvre qui mélange les styles sur une partition hétéroclite, maîtrise le temps de manière fort convaincante en prenant appui sur les images d’une forêt enchanteresse et changeante au rythme des quatre saisons. Robert Carsen veille à mettre en lumière les nombreux contrastes de cet opéra : la verdure du gazon avec la terre de tombes fraîchement creusées, les ténèbres avec la lumière, le Bien et le Mal, le noir et le blanc, le rêve et la réalité mais aussi la Vie et la Mort. Il joue également sur les perspectives, les superpositions et la transparence pour symboliser les espaces. Il n’hésite pas à faire plusieurs entrées depuis le parterre et à investir le tour de la fosse, recouvert d’un gazon verdoyant, prolongement de la forêt.



Pamina (Nadine Sierra) et Tamino (Stanislas de Barbeyrac) se retrouvent dans le silence des profondeurs de la terre
Du côté de la distribution, Stanislas de Barbeyrac, époustouflant Pylade dans l’Iphigénie en Tauride de Gluck, mis en scène par Krzysztof Warlikowski, revu en décembre dernier au Palais Garnier, est un Tamino juvénile qui semble tombé des étoiles. Il illumine le plateau des ténèbres de sa présence irradiante. Le ténor exerce sur nous une sorte de magnétisme qui nous fait succomber à son charme vocal.
A ses côtés, Nadine Sierra, vue dans le rôle de Gemmina dans l’Eliogabalo de Cavalli, mis en scène par Thomas Jolly en ouverture de saison à l’Opéra national de Paris, est une Pamina délicate tandis que Michael Volle emporte l’adhésion générale en campant un Papageno à mi-chemin entre le Sans Domicile Fixe et le Scout De France.
Notons également la parfaite prestation d’Albina Shagimuratova en Reine de la Nuit dont les aigus nous captivent dans une tessiture vocale plutôt étendue, ce qui en fait un rôle complexe. Les célèbres vocalises de son aria la plus connue passent sans forcer et valent à la cantatrice de chaleureux applaudissements.
René Pape, dans le rôle de Sarastro, fait entendre sa voix profonde et mystérieuse. Quant à Andreea Soare, elle parvient à se démarquer du trio de dames, par un jeu scénique un peu plus affirmé que celui de ses camarades, tout comme Andreas Conrad en Monostatos fossoyeur menaçant, armé d’une pelle, avant de succomber au sortilège des clochettes, jusqu’à devenir aussi doux qu’un agneau sorti d’une production de Disney.
Dans la fosse, Henrik Nánási, directeur du Komische Oper de Berlin depuis 2012, dirige avec beaucoup de fluidité et de légèreté l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra national de Paris dans cette œuvre incontournable. En dépit d’une ouverture un peu étirée, le chef d’orchestre a su trouver rapidement son rythme de croisière.
Si « seule la mort apaisera l’âme », la musique de Wolfgang Amadeus Mozart a su, une nouvelle fois, adoucir les mœurs et mettre du baume au cœur à chaque rang de l’Opéra Bastille. Gageons qu’il saura renouveler cet exploit avec Cosí Fan Tutte, dont la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker signera la mise en scène, dans quelques jours, au Palais Garnier. Le compositeur, né à Salzbourg, triomphe toujours et reste une valeur sûre pour ravir le public au terme d’une soirée où l’enchantement ne peut qu’être au rendez-vous.