Actuellement à l’opéra d’Anvers, le triptyque East invite à la découverte des liens entre les différents arts et les cultures d’orient et d’occident à travers le regard d’Akram Khan, Ohad Naharin et Sidi Larbi Cherkaoui.
Une des ambitions de l’Opéra Ballet de Flandre — confirmée par sa nouvelle saison — est de briser les frontières entre la musique, la danse, le théâtre et les arts visuels, afin d’amener le public à la découverte d’autres univers artistiques.
Le triptyque East, assemblé par Sidi Larbi Cherkaoui, co-directeur artistique de la maison depuis 2015, s’insère parfaitement dans cette démarche, avec trois ballets qui interrogent la relation entre les arts, tout comme celle entre l’orient et l’occident.

Le premier ballet, Kaash d’Akram Khan, nous initie à la danse indienne kathak, où cohabitent énergie débordante et spiritualité (on remarquera les références subtiles au dieu hindou Shiva), mise en valeur par les décors de l’artiste plasticien Anish Kapoor, qui s’inspire ici de l’abstraction lyrique de Mark Rothko.
Impossible de ne pas être fascinés par l’élégance et la fluidité des gestes des danseurs, poussés à la limite du contorsionnisme et de la résistance physique, et entraînés par les rythmes intenses et hypnotiques de Nitin Sawhney.
Dans un tout autre registre, Sécus de l’Israélien Ohad (M. Gaga) Naharin, nous entraîne dans un monde caricaturalement coloré et insouciant, où l’exhibition de la nudité se veut plus comme un “effet surprise” qu’une provocation.
Mais l’œuvre la plus percutante de la soirée est bien celle de Cherkaoui, qui se hasarde à s’attaquer à une messe de Requiem.
Dès que le plateau de l’opéra d’Anvers sort de l’obscurité, en révélant l’élégance modeste des décors et des costumes et l’intelligence de la mise en espace, le pari a l’air d’être gagné. Au fur et à mesure du récit, on ne se pose plus de questions : on est tout simplement envoûté par le lyrisme et la forte dimension spirituelle qui se dégagent sur scène.

Il ne serait pas impropre de parler ici de véritable Gesamtkunstwerk, où théâtre, danse et musique cohabitent, dans un naturel étonnant : chœur, chœur d’enfants, chanteurs et danseurs occupent équitablement l’espace, se déplacent, interagissent et jouent, sublimant la musique de Fauré.
Cela est possible uniquement grâce au grand respect avec lequel le célèbre Requiem est abordé, comme témoignent aussi les “extensions musicales” orientalisantes de Wim Henderickx, qui ne dénaturent pas l’œuvre, mais au contraire en accentuent l’universalité.
Tout est beauté, raffinement et introspection : du dessin des corps en mouvement des danseurs au jeu des solistes, mimétisés parmi eux.
Cherkaoui pousse ses danseurs aux limites de l’anatomie humaine et de la prise de risque, et étend le défi physique aux chanteurs, notamment au baryton Simon Schmidt qui se retrouve à chanter tout en trasportant le poids d’un corps humain (celui de la soprano Amel Brahim-Djelloul), tel une Mater dolorosa.
Ces deux solistes nous offrent les moments de lyrisme les plus absolus : quand la voix chaleureuse de Schmidt surgit derrière les danseurs en entonnant le Hostias de l’Offertoire, pour le révéler, l’espace dégagé, agenouillé devant le corps “sans vie” d’une femme, ou encore avec le Pie Jesu de Brahim-Djellou, où une magnifique lumière blanche traversant la scène en valorise la dimension contemplative et hors du temps.
C’est sur l’image d’un étendue de veilleuses que nous quittons la salle, l’âme comblée de sérénité et d’apaisement, en méditant sur l’humble place de notre existence humaine.