Julius Helfft, La salle de musique de Fanny Hensel, née Mendelssohn Bartholdy dans sa maison à Berlin
Julius Helfft, La salle de musique de Fanny Hensel, née Mendelssohn Bartholdy dans sa maison à Berlin

Femmes, mais compositrices avant tout

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Dans le cadre des Mardi Voix, le Chœur de Radio France nous a offert un panorama de la création musicale féminine du XIXe et XXe siècles, de Fanny Mendelssohn à Lili Boulanger en passant par Clara Schumann et Mélanie Bonis.

Entre le centenaire de la Grande Guerre et les soixante-dix ans de la Libération, le 8-Mars rappelle le sort d’une minorité à l’arrière du front : les femmes compositrices, celles qui, au lieu de s’occuper de leur foyer, ont voulu faire un métier d’homme et oser même faire mieux…

C’est le cas des sœurs Boulanger, dont ce soir nous découvrons deux pièces inédites, grâce a un partenariat avec le Fonds Nadia & Lili Boulanger.
L’Hirondelle de Nadia Boulanger fait une parfaite et intense symbiose entre le texte et la musique – notamment dans le planant solo de soprano sur le texte de Sully Prud’homme : “Comme toi mon âme s’élève / Et tout à coup rase le sol / Et suit avec l’aile du rêve / Les beaux méandres de ton vol”. Professeure de composition mais également fondatrice d’un ensemble vocal d’envergure, la compositrice possède indubitablement une grande maîtrise de l’écriture pour voix, qui met en valeur à la fois chaque pupitre et l’ensemble du chœur.

Malgré une santé fragile, qui malheureusement ne lui permit pas de vivre plus de 24 ans, Lili Boulanger composa de nombreuses pièces et fut la première femme à remporter le Prix de Rome, avec la cantate Faust et Hélène en 1913.
Le Soir, autre création mondiale au programme, est une belle découverte : très percutante, cette œuvre aux limites de l’impressionnisme révèle une étonnante modernité. La Source est tout aussi remarquable : le piano décrit l’eau couler avec de charmantes successions d’arpèges, puis s’imprègne de romantisme, se fait harpe et prend finalement des accents jazz. La partie vocale, très entraînante, décale savamment les pupitres et nous propose des cadences inattendues.

On frissonne à l’écoute de la cantate L’Hymne au soleil : le piano et le chœur “célèbrent la puissance du soleil” dans un superbe crescendo. Comme Nadia, dont elle avait été l’élève, Lili s’attache à la cohérence entre mots et musique : on croit marcher au milieu d’une forêt, mesurer en vain l’immensité de la mer ou sentir sur sa peau la brume du matin…

“Si elle avait été un homme elle aurait pu avoir une belle carrière” : voici comment le père Mendelssohn parlait de sa fille… Ce n’est malheureusement pas que le destin de Fanny, dont nous écoutons les Gartenlieder, cycle bucolique à la limite de la tonalité qui décrit la nature, ses bruits et ses parfums, au fil des journées comme des saisons.

Le toucher délicat de la pianiste Mary Olivion nous emmène dans un autre cycle, celui des femmes de légende de Mel Bonis – on remarque le planant Ophélie dont les arpèges délicats et tristes suggèrent le mouvement de l’eau autour du corps sans vie du personnage shakespearien.

Quel dommage de savoir que cette musique ait été si rarement jouée du vivant de Bonis, qui fut néanmoins élève de César Franck, prix de composition et secrétaire de la Société de Composition…

Dans un intéressant parallèle, Olivion nous fait écouter la Grande sonate pour piano de Robert Schumann – des variations sur un thème de Clara – puis le chœur nous propose les Trois chœurs pour voix mixtes de son épouse sur un poème d’Emanuel Geibel. La puissance descriptive de l’écriture de Clara Schumann est évidente : Soir de fête à Venise et La Gondoliera nous emmènent place Saint-Marc, au détour d’un canal de la Sérénissime.

De l’allemand on passe à l’anglais avec deux oeuvres de Rebecca Clarke dont le superbe He that dwelleth in the secret place of the most high, tiré du Psaume 91, où la division des pupitres permet un contrepoint complexe aussi par l’utilisation du même motif par le ténor (Pascal Bourgeois), dont nous remarquerons la voix chaleureuse, et le chœur sur des rythmes différents ou en canon.

Sept compositrices, sept destins différents et similaires à la fois, avec en commun la passion pour la musique, l’envie d’écrire, mais également les obligations féminines, l’opposition des proches et de la société… La route est encore longue pour considérer les compositrices au même rang que les compositeurs, et pour les inscrire régulièrement au programme de nos salles et de nos festivals – pas uniquement lors de la Journée des droits des femmes…

 


Les compositrices
Mardi 10 mars 2015
Maison de la Radio

Choeur de Radio France
Mary Olivon piano
Howard Arman direction

 

Fanny Mendelssohn
Gartenlieder

Robert Schumann
Variations sur un thème de Clara Schumann

Clara Schumann
Trois choeurs mixtes

Mel Bonis
Les Femmes de légendes (extraits pour piano)

Rebecca Clarke
He that Dewelleth
Barbara Vignudelli, soprano solo
Sophie Dumonthier et Brigitte Vinson, altos solos
Jeremey Palumbo, ténor solo
Bernard Polisset, basse solo
Come my Life

Lili Boulanger
La Source
Hymne au soleil
Marie-Hélène Gatti, alto solo
Le Soir (inédit – CM)

Nadia Boulanger
A l’hirondelle (inédit – CM)
Karen Harnay, soprano solo
Pascal Bourgeois, ténor solo

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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