Mettant à l’honneur l’ensemble L’Itinéraire, fondé il y a 50 ans, l’édition 2023 du Festival Messiaen au Pays de la Meije propose un coup de projecteur sur les prolongements contemporains du courant spectral avec le Lemanic Moderne Ensemble et la création d’un cycle de mélodies de Michaël Levinas, avec le compositeur au piano.
Si le village de La Grave constitue le berceau – et l’épicentre – du Festival Messiaen au Pays de la Meije, ce dernier investit également son territoire jusqu’aux portes du Briançonnais, et on peut voir conjonctions symboliques à programmer au Monêtier-les-Bains un concert autour de trois essaimages contemporains de l’esthétique spectrale, confiés au Lemanic Moderne Ensemble que Pierre Bleuse dirige une dernière fois avant de prendre la tête de l’Intercontemporain à la rentrée. Inspirée par le tableau éponyme de Ernst, La Horde de Hugues Dufourt, qui ouvre la soirée, résume peut-être le mieux l’héritage d’un courant explorant les ressources des timbres et des textures instrumentales pour inviter à un voyage musical. Support de l’inspiration du compositeur, l’objet pictural ne contraint pas l’imagination de l’auditeur : le geste surréaliste est réinventé dans une plasticité de la pâte sonore qui se suffit à soi-même pour embarquer dans la temporalité propre des évolutions orchestrales.

La pièce de Tristan Murail, autre figure cardinale de la sphère spectrale – et co-fondateur de L’Itinéraire – qui lui succède, Near Death Experience, initialement conçue avec une vidéo et nourrie par les témoignages de mort imminente, privilégie une juxtaposition linéaire des palettes dans un format plus conventionnel. Le dernier opus de la soirée, Kuntur de Daniel Arango-Prada, tire sa sève de l’évocation quechua d’un oiseau emblématique de l’Amérique du Sud. Les séquences font contraster les sensations de survol sur l’ensemble du continent, entre agitation urbaine et grands espaces, avec une manière habile de tirer des pittoresques instrumentaux, qui démontre d’abord une indéniable maîtrise des ressources orchestrales – sans se réduire aux folklores que traduisaient par exemple les musiciens de Danaya la veille sur la place de Villar-d’Arène, dans le cadre de l’anniversaire Ligeti.

Le lendemain, Michaël Levinas présente la création de son cycle Espenbaum sur des poèmes de Celan. Venue en remplacement de dernière minute, Anne-Sophie Duprels affirme un engagement sincère aux côtés du compositeur, qui tient la partie de piano. Dans l’alternance au fil des huit numéros entre déclamation aux confins du murmure et phrasés plus lyriques, entre cisèlement des harmoniques syllabiques et élans expressifs, c’est à une traversée spirituelle, transformant la matière de motifs traditionnels en une inquiétude singulière, que tamise les deux solistes dans l’église de La Grave. Après le Kaddisch tiré des Deux mélodies hébraïques de Ravel, l’extrait des Lieder eines fahrenden Gesellen, Die zwei blauen Augen von meinem Schatz, fait résonner, avec un pudeur languide, la trame d’une chanson yiddish – jouée juste avant au piano – que Mahler a repris dans son lied. Une belle conclusion pour un parcours marquée par une authentique ferveur.