L’édition 2023 du Festival Messiaen au Pays de la Meije célèbre deux anniversaires : les 50 ans de l’ensemble L’Itinéraire et le centenaire de la naissance de Ligeti. Retour sur deux concerts qui mettent en avant deux créations, l’une de Philippe Leroux, l’autre de Michelle Agnes Magalhaes.
Fondé en 1973 par Tristan Murail et Roger Tessier, le collectif L’Itinéraire compte parmi les plus importantes formations dédiées à la musique contemporaine, et a été, dès ses débuts, soutenu par Olivier Messiaen. Inviter l’ensemble à La Meije pour le festival 2023 semblait alors une évidence au directeur artistique Bruno Messina. Parmi les sept concerts de l’Itinéraire, celui du dimanche 23 juillet à 17 heures est conçu comme un hommage à Ligeti, dont on célèbre cette année le centenaire de la naissance. Le programme s’ouvre sur une page de jeunesse du compositeur hongrois, la Sonate pour violoncelle. Florian Lauridon fait contraster la souplesse du Dialogo avec l’ivresse rythmique du Capriccio. La page solo de Solange Ancona, qui fut élève de Messiaen, Thama, écrite en 1989, s’inscrit dans la continuité du geste du premier mouvement de la Sonate de Ligeti, sans s’écarter réellement de la paraphrase.
Pièce à l’orée de la dernière manière ligetienne, le Trio pour violon, cor et piano, daté de 1982 et sous titré Hommage à Brahms, est servi ici avec plus d’efficacité que d’expressivité poétique. Le violon un peu raide d’Anne Mercier ne restitue pas toute l’évanescence de l’Andantino con tenerezza. Si l’on reconnaît la volubilité du Vivacissimo molto ritmico et l’élan du Alla marcia, c’est autour du cor d’Antoine Dreyfuss que s’articule l’homogénéité des couleurs, perceptible dans le finale Lamento, Adagio, tendu vers une imploration. La création de la commande que l’Itinéraire a passée à Philippe Leroux, L’autre épaisseur, referme le concert sur une prolongation visuelle de la traduction sonore du geste instrumental, selon un procédé qui se nourrit de l’héritage de Ligeti. La succession d’attaques et d’amorces de phrases met en évidence les différentes granulations des pupitres – piano, flûte, trombone, accordéon, violoncelle et contrebasse – dans une théâtralisation du concept sonore marquée par une saisissante conclusion aux confins du silence.
La qualité de l’interprétation est aussi ce que l’on saluera essentiellement de la deuxième commande de L’Itinéraire donnée lors de ce festival Messiaen 2023. Après la tempête, a songbook for Shakespeare de Michelle Agnes Magalhaes, relève d’abord d’une scénographie musicale. A partir de La Tempête, l’une des dernières pièces du dramaturge anglais, et d’extraits du Shakespeare’s Songbook de compositeurs de l’époque, la Brésilienne a imaginé un spectacle hybride alternant séquences théâtrales et bruitistes avec les pages du XVIIe siècle. Ce refus de la transformation de la matière musicale et sonore affirme une esthétique brute aux marges de la composition, et souffre de saynètes parfois prolixes, à l’exemple des onomatopées de Médée, en dépit de l’évident investissement Katalin Karolyi – les deux autres solistes vocales, la soprano Elise Chauvin et la mezzo Grace Durham, se révèlent complémentaires et également remarquables. Restent de ce patchwork qui ne cherche aucune continuité dramatique immédiatement reconnaissable – sachant que la pièce de Shakespeare est elle-même foisonnante – les séductions des saveurs qui enjambent les clivages temporels. On retrouvera L’Itinéraire jeudi 27 dans l’intégrale du cycle Portulan de Tristan Murail – avec la création des deux derniers numéros écrits pour le Festival Messiaen – et pour la clôture à Saint-Théoffrey à la Maison Messiaen.
