A 35 ans tout juste — il les a fêtés le 3 septembre, Gautier Capuçon est un artiste accompli. En choisissant la carrière de soliste, il s’est fait un prénom, joue maintenant avec les plus grands orchestres et les plus grands chefs, partout dans le monde. A raison de 150 concerts par an qu’il aimerait ramener à 100… un jour prochain. Nous l’avons rencontré à Laon, sur le parvis de la cathédrale, avant l’interprétation d’une œuvre fétiche pour lui, le concerto pour violoncelle de Dutilleux, avec l’Orchestre Français des Jeunes sous la direction de David Zinman.
Vous venez de casser une corde en répétition. Ça vous arrive souvent ?
Pas tant que ça. Mais cette partition est pleine de pizzicati. Alors il y a un risque. Mieux vaut que ça arrive en répétition qu’en concert.
Je vous demande ça parce que vous dégagez une énergie parfois presque farouche quand vous jouez…
C’est possible oui. De toute façon, je suis convaincu qu’on joue comme on est, je veux dire à l’intérieur. Sur scène, on ne peut pas mentir. Ce qu’on transmet dans la musique, c’est vraiment une part de soi-même…
C’est quoi, pour vous, interpréter ?
On est des messagers, on raconte une histoire. Ma manière évolue tous les jours. J’essaie d’être le plus proche du compositeur, avec ma personnalité bien sûr. Ce serait terriblement ennuyeux si tout le monde jouait de la même manière. Dans sa musique, chacun met son âme, son caractère. C’est difficile de parler de soi
Alors parlons de votre instrument…
C’est un Goffriller de 1701. Ça fait 17 ans que je le joue. Pratiquement depuis le début. C’est un instrument extraordinaire. Un jour, un collectionneur suisse me dit : « Je viens d’acheter un violoncelle, est ce que tu veux l’essayer ? » J’ai eu le coup de foudre. Et depuis, il me le prête. Voilà. C’est un petit miracle… Ça fait 17 ans et c’est comme s’il n’avait pas de limites. Chaque jour, aujourd’hui encore, je lui découvre de nouvelles couleurs. J’ai l’impression que sa palette est inépuisable. Ça incite à toujours chercher. Ce n’est jamais fini. C’est génial !
Pourriez-vous nous parler de ce concerto de Dutilleux que vous jouez si souvent, encore ce soir…
C’est une œuvre que je joue depuis 10 ans et que j’aime énormément pour plusieurs raisons. La première fois, c’était pour le 90ème anniversaire d’Henri Dutilleux, en janvier 2006 à la Maison de Radio France. Le compositeur était là.
C’est un immense concerto qui fait vraiment partie du grand répertoire pour violoncelle et orchestre. Ce que je vais dire est paradoxal, mais pour moi, ce n’est pas une œuvre contemporaine au sens où on l’entend généralement. C’est une grande œuvre classique. Je le pensais déjà du vivant d’Henri Dutilleux. C’est une écriture très complexe, très méticuleuse, très attentive à la couleur, au tempo, aux nuances. Tout s’enchaîne sans temps morts. C’est incroyable les parfums qu’il arrive à décrire dans cette musique. Pour moi, Dutilleux était un vrai poète, pas seulement parce qu’il s’est inspiré des Fleurs du Mal de Baudelaire pour ce concerto. C’était un musicien, proche de tous les arts, la poésie, la peinture. C’était un artiste plein. Un homme délicieux, toujours bienveillant avec ses interprètes, ce qui ne gâte rien.
Vous semblez attacher beaucoup d’importance à la qualité des relations humaines dans votre vie de musicien…
Oui c’est vrai. On fait quand même un métier assez solitaire. C’était moins vrai quand je faisais beaucoup de musique de chambre avec mon frère. Mais là en soliste, je passe le plus clair de mon temps dans les avions, les hôtels, et c’est très important de pouvoir travailler le plus souvent possible avec des amis. C’est un luxe que je peux m’offrir aujourd’hui. Je vais bientôt retrouver Semyon Bychkov à Berlin avec la Philharmonie, il y aura aussi une tournée en Asie avec Charles Dutoit. Tous deux ont fait beaucoup pour moi. Je les admire énormément. Ce sont des amis. Et puis j’entame une série de concerts avec le pianiste Franck Braley, un ami lui aussi. Franck et moi, on se connaît depuis 20 ans, et on a toujours autant de plaisir à travailler et à jouer ensemble. On vient d’enregistrer ensemble les sonates de Beethoven. Nous venons de les jouer à Brême. Nous les rejouons le 18 octobre à la Philharmonie de Paris. J’ai hâte.
Rencontre, partage, amitié sont des mots qui reviennent tout le temps dans vos propos. C’est pour ça que vous faites de la musique ?
Oui pour moi, c’est la base de tout. L’homme est au centre de tout ça. On a la chance de connaître le langage de la musique. Ce langage, il permet d’échanger, de partager avec d’autres musiciens, avec le public. C’est ça le pouvoir de la musique. C’est une chance folle de pouvoir communiquer de cette façon. Surtout par les temps qui courent. On a plus que jamais besoin de l’art et de la musique. Au fond, c’est la raison pour laquelle je fais ce métier.