Il s’agit de la deuxième reprise de la production du Barbier de Séville de Damiano Michieletto (créée en 2014 et reprise en 2016). Et cette version très cinématographique du Barbier n’a vraiment rien perdu de son intérêt et de son efficacité
On a encore le souvenir grisant de 2016 où Pretty Yende et Lawrence Brownlee, balayant tout sur leur passage, dépassaient les difficultés techniques de la partition. À tel point que Brownlee avait même bissé l’intégralité de la grande scène « Cessa di più resistere » sans que cela eût l’air de lui coûter le moindre effort.
Ce soir, il faut reconnaître que le plateau vocal est moins immédiatement éblouissant, mais y gagne certainement en homogénéité. Comme en 2014, on retrouve René Barbera en Comte. Les craintes en début de soirée (timbre extrêmement nasillard, vocalises parfois savonnées et trille absent) finissent peu à peu par s’estomper jusqu’à ce fameux « Cessa di più resistere » (qui avait été escamoté en 2014) très bien projeté, brillamment exécuté et musicalement splendide. Une jolie performance.

Comme en 2016, on retrouve une Rosina soprano, cette fois en la personne d’Olga Kulchynska. On avoue continuer à douter de l’opportunité d’un tel choix, notamment lorsqu’on constate que Kulchynska transpose régulièrement les notes les plus graves du rôle vers l’octave supérieure ou varie non seulement les reprises mais également certaines expositions afin de les ramener vers un registre plus adéquat à sa tessiture. Néanmoins, la chanteuse, dont on avait déjà pu admirer le timbre extrêmement plastique lors de Capuleti e I Montecchi à Zurich, s’en tire plus qu’honorablement. La technique est assurément impressionnante (notamment dans des vocalises piquées exécutées avec une très grande précision) et elle campe un personnage particulièrement crédible de jeunesse, de fraîcheur et d’espièglerie.
Le Figaro de Massimo Cavalletti a pour lui un aigu extrêmement vaillant. Il est très convaincant dans son air d’entrée « Largo al factotum », mais se retrouve souvent un peu plus en retrait dans les ensembles, qui ont malheureusement tendance à souligner les écarts de technique entre Cavalletti et ses partenaires.
Les autres membres de la distribution ne déméritent pas. Simone Del Savio laisse notamment pantois dans le « A un dottor della mia sorte » au syllabisme terrifiant. Non content de tenir le tempo échevelé, il parvient à rester très intelligible. Le Basilio de Nicolas Testé ne manque pas d’intérêt (on lui pardonne aisément un faux départ au milieu de l’air de la Calomnie). Il est plaisant d’entendre dans le petit rôle de Berta une artiste de la qualité de Julie Boulianne, capable de susciter l’intérêt dans le petit air de sorbet « Il vecchiotto cerca moglie ». Les interventions d’Olivier Ayault ne sont pas inoubliables mais sont courtes. En revanche Pietro di Bianco complète honorablement cette distribution.
Dans la fosse, Riccardo Frizza dirige la partition de manière plaisante quoique parfois un peu sage. On se dit qu’on aimerait entendre plus de folie musicale dans ce Barbier si virevoltant scéniquement. Toutefois, les rares moments où il laisse la machine « s’emballer » créent malheureusement quelques décalages fâcheux entre la fosse et la scène, comme dans « Mi par d’essere con la testa » qui clôt le 1er acte.

On retrouve avec un grand bonheur la production de Damiano Michieletto, qui avait eu la lourde tâche de remplacer celle de Coline Serreau, restée 12 ans à l’affiche de l’Opéra. Ce Barbier très cinématographique (on peut y lire de multiples influences) est toujours aussi efficace, aussi coloré et pétillant. Il sollicite constamment l’attention du spectateur, par un mouvement général incessant. L’énorme décor représentant la façade de la demeure de Bartolo finit par pivoter pour laisser voir l’intérieur de la maison et ses multiples pièces. Ce quadrillage de l’espace scénique offre toujours de multiples points d’attention, des petites saynètes parallèles, qui ne viennent pourtant jamais parasiter l’intrigue principale, mais contribuent au contraire à l’agitation ambiante. À l’image du décor, les chanteurs ne restent jamais très longtemps en place non plus. Il faut donc saluer, en plus de la performance vocale, l’endurance physique des interprètes qui passent pratiquement 3 heures à courir en tous sens dans les escaliers de la maison.
Cette production enjouée et dynamique tiendra-t-elle aussi longtemps que celle de Serreau ? En tout cas, elle semble bien partie pour devenir un bon spectacle de répertoire.