Généralement, transposer un opéra dans notre temps avec intelligence et bon goût permet de contribuer à démystifier le genre (comme la Despina de Patricia Petibon à Salzbourg en 2009, qui écoute du rock en sautant sur le canapé) et d’apporter du recul et de nouveaux points de vue à notre quotidien. Mais ce n’est pas moins vrai pour les versions plus traditionnelles, comme celle de Jonathan Miller, dont le charme sobre et réaliste résiste au temps (tout comme les mythiques Cosi fan tutte de Giorgio Strehler ou le Barbier de Séville de Ruth Berghaus).
Pour nous montrer le vrai Paris de Mimi et de Rodolfo, le metteur en scène s’est inspiré de photos, de lettres, de poèmes, de romans et de critiques de l’entre-deux-guerres, pour une reconstruction fidèle qui reste contemporaine, dans un Paris hausmannien où les chambres de bonne mal isolées, les intérieurs en piteux état et les commodités sur le palier sont encore d’actualité.
Si la Bohème ne cesse pas de séduire le public, c’est bien évidemment grâce à son pathos raffiné, mais aussi à cause d’un sujet universel et atemporel : l’envie d’une jeunesse éternelle, faite d’idéal, d’amour et de liberté.
Nous suivons les quatre artistes et les deux grisettes dans un parcours qui change leur insouciance naïve en appréhension de la réalité : la mort de Mimi en est un passage obligé, qui marque clairement le point de non-retour.
Le café Momus est particulièrement bien réussi, avec un beau jeu d’intérieur/extérieur et de profondeur, une composition scénique bien équilibrée et une circulation réaliste et dynamique des acteurs. On plonge dans l’atmosphère des cafés parisiens du début du siècle. La barrière d’Enfer sous la neige d’un matin d’hiver est charmante, notamment grâce au chœur de l’Opéra de Paris, convaincant comme il sait l’être.
Tout est soigné dans les moindres détails : la lumière qui rentre par la porte et la fenêtre de l’atelier (on se souvient du Werther de l’an dernier), les costumes intentionnellement privés de charme, les affiches publicitaires et de cinéma aux murs, jusqu’à la cigarette de Marcello qui s’éteint à la fin du troisième tableau, comme un présage.
Si la rencontre entre Mimi et Marcello manque un peu de poésie, le reste de la soirée ne manque pas d’émotion, comme les scènes de complicité entre les quatre artistes, qui dégagent une contagieuse joie de vivre, où l’émouvant finale qui fait retentir une dernière fois le thème de la rencontre.
Vittorio Grigolo a un véritable charisme, sa voix est chaleureuse et dotée d’une belle projection ; dommage que certains de ses graves soient presque inaudibles. Nicole Cabell est une Mimi à la voix légère et aux traits élégants, à l’aise dans les aigus et impliquée dans ce rôle tant attendu, après avoir été une Musetta particulièrement espiègle dans la légendaire version filmée avec Netrebko et Villazón.
La Musetta de Mariangela Sicilia est pétillante et sympathique, et forme avec le Marcello de Tannis Christoyannis, parfaitement à l’aise autant comme chanteur que comme comédien, un duo convaincant et attachant. La voix d’Ante Jerkunica (Colline) est riche et expressive, celle de Simone del Savio (Schaunard) ample et puissante, l’Alcindoro de Francis Dudziak est amusant et réaliste.
Sous la baguette de Sir Mark Elder, l’orchestre reste sobre mais laisse tout de même la bouleversante musique de Puccini s’exprimer dans sa complexité raffinée et ses irrésistibles élans de lyrisme.