Le festival Palazzetto Bru Zane à Paris s’ouvre avec Le Ventre de Paris, un récit gastronomique et musical à la découverte des chefs-d’œuvre de l’opérette et de l’opéra-comique.
Peut-on goûter d’un concert comme d’un bon repas ?
Selon le baryton et comédien Arnaud Marzorati, la réponse est oui. Après Au pays où se fait la guerre, le Palazzetto Bru Zane nous offre un nouveau récit mélangeant mélodies, opéras, vaudevilles et opérettes, sur le fil conducteur… d’un repas.
Imaginé à l’occasion de l’exposition universelle milanaise, où il sera redonné le 11 juin, Le Ventre de Paris nous invite à un dîner festif à l’enseigne de la gourmandise et de la bonne humeur, comme le dit son concepteur et directeur artistique : « Dans cette grande révolution industrielle, nous essayons de retourner au sens premier de l’existence : manger non pas pour vivre, mais pour se faire plaisir ».
Ô vin dissipe la tristesse, d’Ambroise Thomas, introduit l’esprit de cette soirée « philosophico-burlesque » où les chanteurs s’amusent et amusent le public en lui proposant un véritable apéritif (Ensemble et couplets de l’apéritif d’Edmond Audran) à base de vin blanc, accompagné de succulentes tartines que Camille Poul sert aux chanceux du premier rang.
Après cette mise en bouche, l’appétit commence à se faire sentir et les convives, invités à table avec l’Air de la table de Charles Lecocq, s’y installent et commencent à déguster les plats que le soprano leur amène tout en chantant. Le vin commence à faire ses effets et c’est l’occasion d’en profiter pour enchaîner des gags divertissants autour du personnage de Caroline Meng qui, d’un peu grise, finit par ne plus se tenir débout… et s’effondrer sur deux chaises.
Les airs se succèdent comme les ambiances, et les interprètes les restituent de manière convaincante et prenante, s’appuyant sur l’amusante mise en espace de Florent Siaud (qui n’épargne pas les musiciens) et l’efficace mise en lumière de Nathalie Perrier.
Le spectacle se fait de plus en plus appétissant, notamment au moment du Quatuor de l’omelette de Lecocq, où les chanteurs se mettent à cuisiner une omelette sur scène, en remplissant la salle d’un parfum irrésistible…
L’envie de participer au banquet est des plus grandes, mais le plaisir n’est pas uniquement olfactif : la vue et l’ouïe y trouvent aussi leur compte avec ce plateau vocalement homogène, où la qualité est au rendez-vous dans la déclamation comme dans le chant.
Finalement le plaisir intellectuel n’est pas négligé lui non plus et, même si les paroles ne sont pas toujours parfaitement compréhensibles, l’ironie du décalage entre texte et musique ne se perd pas.
Si Camille Poul surprend pour son aisance scénique et vocale et arrache le rire dans le duo à double sens avec Satan de Gaston Serpette, la charismatique Caroline Meng, fière et menaçante Carmen, dans sa parodie de l’air du Toréador, tisse le lien entre violence et nourriture brandissant un plateau garni d’une tête de cochon, et armée d’un couteau, elle menace David Ghilardi tout en le séduisant…
Ce dernier, dont on avait pu constater l’expressivité en janvier dans la Grande Duchesse à l’Athénée, confirme son talent de chanteur et comédien. On le voit terrifié quand il tente de fuir Carmen, désespéré lorsqu’il croit son ami mort, ou encore naïf et gourmand alors qu’il déguste avec plaisir une omelette que les autres convives ont préféré cracher.
Après le copieux repas vient la digestion, et ce n’est pas toujours facile : avec La chanson du ver solitaire de Vincent Hyspa, un Arnaud Marzorati plein d’humour partage la solitude d’un ver solitaire, triste et orphelin, destiné à mourir dans un bocal, tandis que, grâce à sa complice Nathalie Perrier, la salle est plongée dans le noir pour rappeler l’habitat du ver… Pitié et dégoût, ridicule et pathos se mélangent encore une fois.
Les jeux d’acteurs entre chanteurs et musiciens font le succès du duo où Caroline Meng et Camille Poul chassent Daniel Isoir de son piano pour prendre possession de sa banquette, et la scène d’ensemble où Mélanie Flahaut (flageolet et basson) et Isabelle Saint-Yves (violoncelle) sortent des pommes du piano.
Après avoir jeté des gants de cuisine à l’auditoire et poursuivi David Ghilardi sur le fond de la scène, c’est Caroline Meng qui annonce la fin du spectacle dans un tourbillon inattendu et hilarant.
Encore une fois, le Palazzetto propose un spectacle de grande qualité, fondé sur la recherche musicologique, qui confirme que les artistes oubliés que sont Bugnot, Audran, Bruant et Hyspa ont tout à fait leur place dans nos théâtres et peuvent agréablement nous surprendre.
Le Ventre de Paris
Comédie musicale philosophico-burlesque en un acte sur la gastronomie française
Festival Palazzetto Bru Zane, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris.
Camille Poul, soprano
Caroline Meng, mezzo-soprano
David Ghilardi, ténor
Arnaud Marzorati, baryton
Mélanie Flahaut, flageolet et basson
Isabelle Saint-Yves, violoncelle
Daniel Isoir, piano
Arnaud Marzorati conception et direction artistique
Florent Siaud, dramaturgie et mise en espace
Nathalie Perrier, lumières