À l’occasion d’un colloque international sur le répertoire pianistique du romantisme entre Vienne et Paris, le pianiste Alexei Lubimov était au Festival de Royaumont pour une nuit dédiée à Beethoven.
Dans le cadre du colloque sur l’éloquence romantique au piano, le pianiste Alexei Lubimov et Elizaveta Miller, son élève du conservatoire de Moscou, ont présenté un programme dédié à Beethoven et à ses contemporains Jan Ladislav Dussek (1760-1812) et Joseph Gelinek (1758-1825).
C’est Miller qui introduit la soirée en mettant en parallèle la Sonate n° 17 « La tempête », op. 31 n°2 avec l’Elégie harmonique sur la mort de son altesse Royale le Prince Louis Ferdinand de Prusse op. 61 en fa dièse mineur de Dussek et Variations sur l’air Pria ch’io l’Impegno de Gelinek.
Dès la première note, la jeune pianiste, qui a remporté en 2014 le 1er prix du prestigieux Concours de pianoforte de Bruges, s’est affirmée dans un jeu virtuose et déterminé au clavier du piano Walter, copie d’un Mac Nulty, appartenant à l’Université Paris-Sorbonne.
L’originalité de cet instrument se trouve dans le fait qu’il possède une genouillère à la place des pédales, un dispositif qui témoigne des expérimentations faites sur les pianos jusqu’au début du XIXe siècle, avant d’arriver au piano moderne que tout le monde connaît. Le Walter n’est pas un instrument facile à apprivoiser et, malgré la maîtrise de Miller, parfois on peut l’entendre se “rebeller” via des bruits mécaniques dans le registre le plus grave.
C’est en passant ensuite à un Conrad Graf de 1830, qu’elle nous fait écouter la splendide Elégie de Dussek, compositeur qui incarne, entre autres, l’avant-garde du développement du répertoire pianistique au XVIIIe siècle.
Lubimov lui succède pour terminer la soirée en beauté avec trois Sonates de Beethoven, dont la célèbre Sonate n° 14 « Clair de Lune » op. 27 n° 2 en Ut dièse mineur. Le pianiste a une façon si intense de jouer qu’il est impossible pour l’auditoire de ne pas en être captivé.
En passant aisément du Graf au Walter, le pianiste semble dompter les instruments : sous ses doigts agiles il fait surgir des couleurs infinies et susciter des émotions aux tonalités les plus disparates.
Entre énergie et agilité, expression et dynamisme, ce grand concertiste a donné une vraie démonstration de ce que la démarche de la performance sur instruments historiques peut apporter à l’interprétation pianistique et a ouvert la voie à l’exploration de nouveaux territoires d’écoute, avec la complicité du superbe piano de la collection Edwin Beunk.
C’est grâce à Lubimov que des instruments adaptés à la démarche de la Fondation ont pu être trouvés, nous explique Sylvie Brély, directrice artistique du programme claviers à Royaumont : « Alexei Lubimov a arpenté de nombreuses collections européennes pour trouver des pianos historiques en bon état de jeu. Nous avons découvert la collection d’Edwin Beunk en 2009 à l’occasion d’un enregistrement de deux disques (Impromptus de Schubert et les trois dernières sonates de Beethoven) chez Zig-Zag Territoires (label que je co-dirigeais) ».
Pour ce week-end événementiel sur les pianos romantiques, Sylvie Brély a proposé de travailler avec Edwin Beunk, qui possède non seulement ce magnifique Conrad Graf 1830, mais aussi des pianos Pleyel et Erard en excellent état de marche, ce qui est très rare.
Lubimov a donc suggéré au pianiste Edoardo Torbianelli d’aller à Enschede en Hollande, pour essayer un Pleyel de 1842. La Fondation a ensuite loué les pianos Pleyel pour l’atelier de Formation Chopin en août dernier, ce qui a permis à Edoardo Torbianelli et aux jeunes pianistes de l’apprivoiser.
Entre pianos historiques, recherche musicologique et interprètes d’envergure, Beethoven aurait sûrement apprécié cet hommage à son génie, respectueux et innovant à la fois.