Les Fêtes d’Hébé de Rameau présentées hier à l’Amphithéâtre de Bastille avaient de quoi susciter un vif intérêt. En premier lieu parce que l’œuvre n’est pas montée très souvent. Et puis parce que cette production avait le mérite de réunir diverses formations de jeunes musiciens en devenir : l’Académie de l’Opéra National de Paris, le Royal College of Music de Londres, et les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles. En ces temps troublés où la collaboration européenne est parfois remise en question, ce spectacle est-il un manifeste en faveur d’une entente internationale, au moins sur le plan musical ? C’est en tout cas ce que suggèrent les notes de programme en sous-titrant son spectacle « Une certaine idée de l’Europe »…
Les solistes rassemblés pour cette Fêtes d’Hébé possèdent des qualités très diverses. Adriana Gonzalez assure le double rôle de Sapho et d’Iphise avec un indéniable panache. Certes, son français est légèrement perfectible, mais la voix est somptueuse et magnifiquement projetée. L’Eglé/Hébé de Pauline Texier n’est pas en reste dans cette distribution. On en retient avant tout un timbre charmant, clair et lumineux, ainsi qu’une prédisposition comique particulièrement sensible dans le dernier acte où elle s’amuse beaucoup (et nous avec) à jouer la fausse ingénue. On aurait eu envie d’entendre davantage Laure Poissonnier, distribuée dans le rôle malheureusement bien court d’Amour, dont elle s’acquitte cependant avec une grande musicalité.
Du côté des messieurs, on doit admettre que le niveau est bien plus disparate. Mikhail Timoshenko a assurément une voix impressionnante de puissance et d’autorité. Tomasz Kumiega semble d’abord peu à l’aise en Alcée, peut-être trop concentré sur les mouvements chorégraphiques que lui impose la mise en scène. Il est nettement plus convaincant en Eurilas où il déploie une belle voix grave. Malgré un timbre assez nasillard, Juan de Dios Mateos se tire admirablement du rôle de Mercure, dont les vocalises ne sont pourtant pas aisées. En revanche, Jean-François Marras semble en permanence en difficulté dans ses deux rôles de Momus et de Lycurgue. Problème de style ou de tessiture ? Toujours est-il que la voix est souvent tendue et frôle la fausseté à de nombreuses reprises. Sortie des rangs du chœur, la jeune Julieth Lozano paraît d’abord gênée par la vocalité exigeante de « Fuis, fuis, porte ailleurs tes fureurs », aux traits rapides et aux grands sauts d’intervalle. Sa Bergère du III° acte est en revanche tout à fait charmante.
Les chœurs franco-britanniques sont absolument impeccables. Extrêmement sollicités par une mise en scène qui leur impose de nombreux mouvements chorégraphiques à exécuter tout en chantant, ils se plient à cet exercice avec une grande précision et une grâce inattendue.
Du côté de l’orchestre, on ne peut nier que ça accroche beaucoup. Plus d’une fois, on entend les cordes grincer et les vents craquer. Mais passés ces détails techniques, on se laisse tout de même emporter par l’énergie de ce petit ensemble conduit avec fougue par Jonathan Williams.
La mise en scène de Thomas Lebrun est tout à fait intéressante et ne laisse jamais l’ennui s’installer dans un ouvrage à l’intrigue assez mince. La production respecte assez bien l’équilibre de l’œuvre, à la fois opéra et ballet. Elle mêle même les chanteurs, solistes et choristes, à la chorégraphie d’ensemble, contribuant ainsi à la cohésion et à l’unité du spectacle. Les six danseurs invités sont remarquables de présence et d’énergie. Dans un ballet qui se veut « résolument contemporain », on note quelques clins d’œil amusants à la natation synchronisée, ou quelques pas qui évoquent la danse du XVIIIe siècle. Dommage que les costumes flattent aussi peu les danseurs (qui donc est responsable de ces affreux bonnets de bain ?).

Pour autant, l’esthétique générale du spectacle est très réussie, jouant joliment sur les changements de couleurs des costumes et des lumières. Le premier acte est bleu et vert, le deuxième est rouge et rose, le dernier est jaune. Le procédé est simple, mais très beau, et il permet de donner une identité visuelle à des actes dramatiquement indépendants dans lesquels les chanteurs reviennent jouer des rôles différents. L’intérêt de la vidéo est en revanche très discutable, les images projetées se bornant à une illustration littérale et redondante du texte (des oiseaux sur « Vole Zéphir », des vagues au I° acte, des moutons au III° acte…).