Les musicales de Cambrai © Pascal Gérard
Les musicales de Cambrai © Pascal Gérard

Les Musicales de Cambrai : porter de l’émotion à qui veut la recevoir

5 minutes de lecture

La semaine dernière nous étions aux Musicales de Cambrai, un festival qui a vu le jour il y a deux ans, sous la direction artistique de Jean-Pierre Wiart

 

À partir du printemps la saison des festivals commence, en attirant des milliers de mélomanes locaux ou en vacances.
Chaque événement a sa particularité, que ce soient des lieux patrimoniaux d’exception, des invités de prestige, des thématiques originales, des formats de concert innovants, ou encore une ambiance qu’on ne retrouve nulle part ailleurs.

Au delà de l’étonnante capacité d’avoir réussi à fédérer – en deux ans seulement ! – des têtes d’affiche (entre autres, Karine Deshayes, Delphine Haidan, François Chaplin et le quatuor Modigliani) et des jeunes talents à la carrière internationale, la particularité des musicales de Cambrai consiste à travailler en binôme avec son conservatoire.

L’établissement — dont le directeur, Jean-Pierre Wiart, est également directeur artistique du festival — met à disposition des artistes invités des salles de répétition, des loges et une salle où prendre les repas, pour ensuite se rendre sur la scène du charmant Théâtre de Cambrai, chef d’œuvre de l’art déco, par un passage direct entre les deux bâtiments.
Les étudiants du conservatoire peuvent non seulement assister aux répétitions, mais également bénéficier d’une entrée gratuite à tous les concerts.

Une autre spécificité consiste en la mise en place de débats, les “Bords de scène”, entre artistes et public, avec une volonté d’échange et de partage destinée à casser le “mur” entre la scène et le parterre. Après chaque concert les artistes prennent place sur la scène et répondent aux questions du public.

Les sujets sont de plus variés : des questions plus techniques sur les instruments et sur le fait de jouer sans chef d’orchestre, aux questions plus “humaines” à propos de la gestion du stress, auxquelles les musiciens répondent en toute sincérité. Le flûtiste Jocelyn Aubrun compare la gestion des émotions sur scène à “un incendie qu’il faut maîtriser”, le clarinettiste Pierre Génisson parle d’un “un flot d’émotions que l’on doit contrôler” et le pianiste David Bismuth met l’accent sur le fait que ce que l’on ressent “pourrait nous dépasser”.

Très à l’écoute de son public, le directeur artistique du festival veut que les Musicales de Cambrai soient un moment de plaisir pour eux, tout comme pour les artistes.
Si d’un côté l’exigence musicale est essentielle, de l’autre, Jean-Pierre Wiart essaye de concocter des programmes qui puissent plaire à un public profane, avec des musiques sachant “parler” même à la première écoute.
“Il est important que la musique soit en adéquation avec le territoire, que je connais très bien”, nous explique-t-il, “tout comme il est important de prendre en considération les suggestions et les souhaits du public. A chaque concert les gens peuvent me retrouver à l’entracte dans le hall et discuter avec moi. C’est à la suite de ces échanges, par exemple, que j’ai commencé à présenter les concerts, à la demande du public”.

A Cambrai on retrouve donc un public satisfait et des musiciens heureux, qui nous ont fait écouter des pièces de musique de chambre rarement jouées, comme Le Pâtre sur le rocher de Schubert, avec Karine Deshayes (mezzo-soprano) et François Chaplin (piano), ou les 3 romances pour clarinette et piano de Schumann (avec Deshayes et Chaplin, accompagnés par le mezzo Delphine Haidan et la clarinette Pierre Génisson), ou encore la Sonatine pour flûte et piano de Dutilleux, interprétée avec raffinement par Jocelyn Aubrun à la flûte et David Bismuth au piano.

Les musicales de Cambrai © Pascal Gérard
Les musicales de Cambrai © Pascal Gérard

La rareté s’est retrouvée également dans les formations, avec la présence de trois musiciens arméniens : le violoniste Hrachya Avanesyan, le violoncelliste Sevak Avanesyan et le pianiste Ashot Khachatourian, et l’accent mis sur les vents avec le Quintette pour piano et vents en mi bémol majeur K. 452 de Mozart. Cette œuvre nous offre un florilège de timbres se mettant en valeur l’un l’autre : la douceur du hautbois de Jérôme Guichard, la solennité du cor de Jocelyn Willem, la légèreté de la clarinette de Pierre Genisson et la profondeur du basson de Philippe Hanon, le tout accompagné de manière aérienne par le piano de David Bismuth.

Parmi les concerts les plus attendus, il y avait celui du quatour Modigliani. L’engouement du public est tout à fait compréhensible, car en seulement 14 ans le quatuor a parcouru le monde entier en jouant, s’est fait prêter de superbes instruments italiens du XVIIème et XVIIIème par des mécènes privés, a créé le festival Saint-Paul de Vence, puis a réussi à se faire confier par le Groupe Danone la “résurrection” des Rencontres musicales d’Evian, longtemps dirigées par Mstislav Rostropovich.

Aujourd’hui les “Modi” traversent une nouvelle phase de leur carrière, marquée par le départ du premier violon Philippe Bernhard, remplacé par Amaury Coeytaux. En un peu plus d’un an, le violoniste s’est parfaitement intégré au groupe, le hasard aidant, car son violon a été fabriqué par le célèbre luthier Guadagnini, tout comme celui de son prédécesseur. Le timbre, comme il nous l’explique pendant un des “bords de scène”, s’intègre donc parfaitement avec ceux des autres instruments, qui ont tous été choisis pour être joués ensemble.

De leur concert nous remarquerons le Quatuor en La mineur Op. 13 de Mendelssohn, dont le premier mouvement est d’une profondeur bouleversante, puis le Quintette pour clarinette en La Majeur K. 581 de Mozart, en compagnie du clarinettiste Pierre Génisson, qui l’a récemment enregistré.
En quatuor tout comme en quintette, les musiciens sont complètement engagés et extrêmement à l’écoute les uns des autres. Le jeu de Coeytaux est très précis et le timbre de son violon riche et caressant, il sait le faire émerger dans les soli et le fondre dans l’ensemble, si aisément que l’on pourrait croire qu’ils jouent ensemble depuis toujours.
De même pour Génisson, qui semble être le cinquième Modigliani : immergé dans la musique, il regarde ses collègues, se penche tantôt vers le premier violon, tantôt vers le violoncelle, dans un dialogue évident aux yeux et aux oreilles.
Cette complicité, recherchée par les musiciens — Loïc Rio nous confie qu’ils considèrent leur quatuor comme un instrument à 16 cordes — nous offre des émotions très puissantes et profondes.

Le pari de Jean-Pierre Wiart, de porter de l’émotion à qui veut la recevoir, n’est donc pas juste une phrase rhétorique.
Il ne vous reste qu’à l’expérimenter vous-mêmes, en participant au prochain festival, sans oublier pendant votre visite de Cambrai (première ville de France a être nommée ville d’Art et d’histoire), de faire une étape à l’incontournable Musée départemental Matisse… et de déguster les Bêtises qui font la renommée culinaire de la ville.

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

Derniers articles de Chronique