Lohengrin / Opéra Ballet Vlaanderen © DR
Lohengrin / Opéra Ballet Vlaanderen © DR

Le mythe de l’homme fort : Lohengrin à l’opéra des Flandres

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Après avoir été representé cet été au Royal Opera House de Londres, le Lohengrin de Wagner vu par David Alden inaugure l’ouverture de saison de l’Opera Vlaanderen, avec Zoran Todorovich, Liene Kinča, Craig Colclough, Iréne Theorin, Wilhelm Schwinghammer et Vincenzo Neri

 

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
L’Albatros — Charles Baudelaire

 

Dans une ville faite d’immeubles austères et drastiquement penchés, avec pour seul décor une sirène d’alerte aérienne, vit un peuple épuisé et en colère. Le corps à moitié brûlé et mutilé, le héraut d’armes du Roi (incarné par un convaincant Vincenzo Neri, au timbre profond et touchant) annonce l’arrivée du souverain.

Accueilli par un mouvement de foule que les forces de l’ordre s’efforcent de contenir, le Roi fait son entrée, couvert d’un long manteau noir et d’une simple couronne dorée, lui conférant un air hors du temps. Venu dans le Brabant pour lever des troupes et surtout pour trouver un homme fort pour les guider, Heinrich se retrouve en juge de la jeune Elsa, accusée d’avoir laissé mourir son frère Gottfried dans la foret. La jeune fille cherche un champion pour la défendre et prie Dieu de le lui envoyer.

Tous les espoirs, y compris celles du peuple (où nous remarquerons le grand engagement du Choeur de l’opéra des Flandres), qui attend un héros, semblent comblées par l’arrivée d’un homme, déchaussé et vêtu de blanc…
Il prend donc la défense d’Elsa et se marie avec elle, les traîtres (Ortrud et Telramund) sont chassés et des feux d’artifice couronnent ce moment de joie.

Mais tout cela est voué à l’échec, car l’inconnu, qui n’est rien d’autre que Lohengrin, chevalier du Graal et fils de Parsifal, n’est pas fait pour vivre parmi les hommes.
Le demi-dieu exige un amour inconditionnel de la part de Elsa, tout en lui cachant à jamais son identité. C’est un fardeau impossible pour sa femme qui, manipulée par Ortrud et de Telramund, commence à douter de son lui.
Ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne lui pose la question interdite, dans leur chambre de mariés, où trône la reproduction de L’arrivée de Lohengrin en Brabant par August von Heckel.
Ainsi, Elsa perd son mari, son héros ; Telramund perd sa vie, lorsque Lohengrin le tue avec sa propre épée, Ortrud perd tout espoir et le roi Heinrich perd son homme fort.

A l’aide d’une mise en scène faisant référence à la violence de la guerre et au totalitarisme, le metteur en scène étasunien David Alden place le féerique chevalier Lohengrin dans une univers en ruine physique et spirituelle.
Bien que les images scéniques de Leni Reifenstahl ne laissent aucun doute sur leur référence au symbolisme nazi (avec le Parteiadler avec le cygne à la place de l’aigle, les uniformes militaires et les étendards noirs, rouge et blancs), leur utilisation reste suffisamment abstraite pour ne pas clouer l’œuvre uniquement à l’Allemagne des années 1930 et 1940.

Wilhelm Schwinghammer, qui remplace Thorsten Grümbel, souffrant, dépeint le Roi de manière réussie et en fait une figure profondément tragique et impuissante.
Liene Kinča et Iréne Theorin faisaient aussi leurs débuts, respectivement en tant qu’Elsa et Ortrud. Liene Kinča incarne la jeune femme de manière convaincante et maîtrise les nuances de sa voix malgré une projection un peu en arrière, la voix d’Iréne Theorin, au contraire, s’épanouit aisément et en fait, avec Craig Colclough (dans le rôle de Telramund) la vraie protagoniste de la performance.

Car les méchants sont ici les personnages les plus convaincants, à tous les égards : dans son uniforme de secrétaire, jupe crayon et cheveux en arrière, Ortrud est une parfaite manipulatrice, jonglant entre la carotte et le bâton pour que Terlamund seconde ses plans.

La tragédie de ce dernier est incarnée de manière saisissante par Colclough, dont la voix est puissante, le phrasé précis et l’émission sonore mais jamais forcée. On remarquera son impétueux Du fürchterliches Weib, was bannt mich noch in deine Nähe?, où il balance des chaises sur le plateau, tout en contrôlant parfaitement ses intonations et son expressivité.

Dommage que l’on ne puisse dire de même du Lohengrin de Zoran Todorovich qui, sauf peut être dans In Fernem Land, manque de subtilité vocale et de complexité dans la représentation de ce personnage torturé.

L’orchestre de l’Opéra Flamand, sous la baguette du nouveau chef Alejo Pérez, qui avait dirigé Pelléas et Mélisande dans la saison précédente, a livré un Lohengrin très lyrique, avec de belles contributions des bois, atteignant des sommets éthérés.
C’est dans Lohengrin, que Wagner parvient par la première fois à réunir son drame musical par une mélodie infinie : les scènes chorales et les arie ne sont pas ici des points culminants ou d’arrivée, mais toujours de nouveaux points de départ.

Ainsi s’achève en tragédie ce Lohengrin visuellement impressionnant, où le caractère féerique de la musique de Wagner est, par le pouvoir du contraste, souligné par la sombre et sinistre mise en scène.

Le seul vainqueur semble être Gottfried, le frère d’Elsa. Après le départ de Lohengrin, l’enfant, enfin libre du sort d’Ortrud, brandit l’épée au dessus de lui et donne ainsi de l’espoir en l’avenir, en l’homme que le peuple a tant attendu.
Peut-être plus que dans le symbolisme nazi, c’est dans cette image qui se cache le véritable avertissement de cette production : les tendances totalitaires ne commencent pas par un tyran, mais par un peuple désirant un homme fort.

 

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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