L’opéra des Flandres présente en ce moment Pelléas et Mélisande de Claude Debussy à Anvers, dans une version peu ordinaire, née d’une collaboration entre artistes internationaux provenant de différents domaines. La production sera ensuite à Gand à partir du 23 février
En cette année 2018, qui marque le centenaire de la mort de Claude Debussy, plusieurs Maisons ont mis au programme son célèbre (et seul) opéra, basé sur la pièce symboliste du belge Maurice Maeterlinck.
L’Opéra des Flandres a décidé de donner à Pelléas et Mélisande une nouvelle énergie en misant sur la collaboration artistique entre Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet et Marina Abramovic, qui avaient conçu ensemble un nouveau Boléro, présenté à l’opéra de Paris en 2013.
Aux deux chorégraphes et à l’artiste-performeuse serbe se rajoutent le vidéaste italien Marco Brambilla et la couturière néerlandaise Iris van Herpen, connue pour avoir habillé Björk et Lady Gaga.



Grâce à un mélange de vidéos projetées sur un écran rond, un décor vivant créé par huit danseurs et une scénographie de science-fiction, le résultat est des plus impressionnants.
Les vidéos de Brambilla, créées à partir d’enregistrements faits par le télescope Hubble de la NASA, montrent des nébuleuses et des galaxies, des étoiles et des trous noir s’interpénétrant en donnant l’illusion d’un grand œil qui nous regarde.
En fonction du récit, les différentes formes et couleurs se font à la fois descriptives, chimériques ou menaçantes, en cohérence avec les décors et les lumières.



Des stalactites et stalagmites aux allures phalliques décorent la scène, rappelant l’emprise masculine sur la frêle protagoniste, non seulement celle de son mari, mais aussi celle du vieux Arkel qui lui montre une affection très ambiguë.
L’agressivité de Golaud est accentuée par la présence menaçante des danseurs qui, tel un chœur grec, commentent l’action et emphatisent le ressenti des personnages.
La métamorphose incessante des danseurs, dont on admire les corps sculptés et souples, crée des tableaux vivants fascinants et cohérents, renvoyant à la sculpture grecque antique ou à celle des XIXème et XXème siècles, mais aussi à l’esthétique picturale symboliste, contemporaine de Debussy.
L’imagination des créateurs les a portés à représenter les longs cheveux de Mélisande en tant que fils argentés, scintillants sous les lumières d’Urs Schönebaum. Les danseurs leur donnent vie, en se déplaçant sur scène, en les mêlant comme une toile d’araignée, en les étendant ou en les serrant autour du cou de la belle protagoniste, encore une fois en miroir avec l’intrigue.
La soprano norvégienne Mari Eriksmoen est une superbe Mélisande aux allures extra-terrestres, auxquelles contribuent sa robe et ses chaussures futuristes. Sa voix est éthérée et bien contrôlée et son français impeccable, ce qui n’est pas forcément le cas du reste de la distribution, moins intelligible.



Le baryton sud-africain Jacques Imbrailo est un Pelléas charmant et naïf qui ne sais pas s’échapper des pièges de son frère, un Leigh Melrose très percutant. Son Golaud est violent et détestable et même repenti, il ne suscite aucune empathie. La Geneviève de Susan Maclean est réussie, comme l’Arkel de Matthew Best dont on apprécie la profondeur du timbre.
Bravo à la soprano Anat Edri, qui incarne l’enfant de Golaud de manière réaliste et convaincante, pour le plaisir de ceux qui n’aiment pas trop les voix aiguës d’enfants, comme l’auteure de ces lignes.
On remarquera son naturel dans l’air “Oh, cette pierre est lourde”, chanté assise sur une pierre/monde portée par des Atlas-danseurs.



Dans la fosse, la direction d’Alejo Pérez accentue tantôt la dimension mystérieuse et hors du temps de la musique de Debussy, tantôt en souligne le caractère dramatique, de manière efficace et poignante.