Dimanche 11 février, l’auditorium de la Maison de la Radio affichait complet pour l’ultime concert du festival Présences 2018 consacré au compositeur et organiste Thierry Escaich. Une soirée où se mêlaient également des pièces de Henri Dutilleux et Laurent Cuniot (création mondiale).
On ne présente plus Thierry Escaich, célèbre organiste de l’église Saint-Etienne-du-Mont et brillant improvisateur, auteur d’une centaine d’œuvres très inspirées reflets d’une ineffable effervescence musicale. Du 6 au 11 février, le festival Présences avait donc choisi de mettre à l’honneur le musicien en rendant hommage à ses maîtres, en faisant jouer sa musique ou en conviant ses élèves à se produire.
Ce soir, hommage au maître Dutilleux tout d’abord avec la pièce Mystères de l’instant, interprétée par l’Orchestre Philharmonique de Radio France, sous la direction de Mikko Franck. Une série de « photographies sonores » illustrant les idées et les inspirations du compositeur qui emploie les différents timbres à sa disposition dans l’orchestre. Le cymbalum est très présent, ponctuant l’écriture sans cesse renouvelée de Dutilleux. Parfois, les instruments sont utilisés en « contre-emploi », à l’instar des contrebasses s’aventurant dans le registre des aigus pour mieux troubler notre perception de l’espace sonore. La veine « mystérieuse », comme le titre l’indique, ici liée au processus créatif du musicien, se révèle néanmoins au fil de l’œuvre à travers chaque ambiance sonore.
Il faut avouer que cette pièce (une quinzaine de minute) arrive toutefois à lasser notre attention…
Pour son Concerto n°2 pour orgue, cordes et percussions, Thierry Escaich est lui-même aux commandes de l’orgue de Radio-France, la console étant placée au centre de la scène. Imitations d’instruments de l’orchestre, accords percussifs… Thierry Escaich se joue des codes du concerto dans sa forme classique. L’orgue est ici un instrument au sein du “Philhar’”, apportant sa touche à la palette sonore de l’ensemble, comme un prolongement de son espace musical. Une parenté avec la recherche sur les timbres menée par Dutilleux ?…
On ressent dès le début – notamment à travers les accords martelés aux claviers – une pulsation rythmique donnée par l’orgue et pas seulement par les percussions. Dans une danse endiablée, l’orchestre et l’orgue dialoguent à bâtons rompus devant nous, une course folle au coeur de laquelle l’organiste et les musiciens du Philharmonique mènent une bataille musicale sans pitié, emportant l’auditoire jusqu’à l’éclatant final.
Nous pouvons enfin reprendre notre souffle !…
Comme pour compléter ce concerto, Thierry Escaich nous offre en bis une improvisation à l’orgue Grenzing de la Maison de la Radio.
Après l’entracte, belle découverte de L’ange double de Laurent Cuniot, une commande de Radio France, en création mondiale. Une nouvelle fois, l’espace sonore est au cœur de la composition. Le rôle principal, d’une redoutable virtuosité, est tenu par le hautboïste Olivier Doine. La dualité intervient avec la première clarinette dans un subtil miroitement sonore où les timbres des deux instruments finissent par se confondre. Chaque pupitre semble avoir un rôle à jouer avec le hautbois, redéfinissant sans cesse la spatialité de l’orchestre dans des « paysages sonores et poétiques mis au jour », comme le défini Laurent Cuniot. Une fois de plus, le matériau sonore est utilisé par le compositeur au profit d’un discours musical expressif, sublimé par les possibilités du hautbois.
“La beauté devant moi fasse que je marche
La beauté derrière moi fasse que je marche
La beauté au-dessous de moi fasse que je marche
Avec un sentiment de vie fasse que je marche
A nouveau vivant fasse que je marche
Accompli dans la beauté”
Extrait de La Piste des chants
Le festival se referme sur une pièce de Thierry Escaich en création mondiale : La piste des chants, cinq chansons amérindiennes pour chœur d’enfants et orchestre. La Maîtrise de Radio France est positionnée à gauche de la scène, tandis que l’orchestre occupe le reste du plateau. On peut parler ici d’un hymne poétique à la nature où le chant – défendu avec ardeur par le choeur – est ponctué et porté par les instruments de l’orchestre : les cuivres sont très présents au début, incarnant assurément le “souffle de vie” de la première chanson (« Avec un sentiment de vie fasse que je marche »), tandis que les percussions rythment une dernière partie plus perturbée (« Brouillard ! Eclair ! Tourbillon ! … ») .
Lors de ce cérémonial de la tribu des Navajos, Thierry Escaich semble bien avoir convoqué les forces telluriques sur sa « Piste des chants » !
Tous les concerts du festival sont à retrouver prochainement sur le site de France Musique.