Par Rama [CC BY-SA 2.0 fr], via Wikimedia Commons
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Regards sur Don Giovanni

3 minutes de lecture

« Cette merveille de vérité dans l’expression, de beauté dans la forme, de justesse dans les caractères, de profondeur dans le drame, de pureté dans le style, de richesse et de sobriété dans l’instrumentation, de charme et de séduction dans la tendresse, d’élévation et de force dans le pathétique, ce modèle achevé, en un mot, de l’art dramatique musical » : voilà comment Charles Gounod décrit, cent ans après sa création à Prague, le Don Giovanni de Mozart.

Qu’est-ce que Don Giovanni ? Mozart l’appelle « opera buffa » sur son catalogue, Da Ponte emploie « dramma giocoso », la création viennoise le dénomma « Singspiel ». On ne peut que donner raison à Gounod qui élude la question : « chef-d’œuvre incomparable et immortel » et « apogée du drame lyrique » semblent mieux convenir… et résumer parfaitement l’objet musical en question. La partition de Mozart, le personnage éternel du burlador de Sevilla, le livret de Da Ponte forment à la fois un chef-d’œuvre de musique, mais aussi de dramaturgie et de psychologie — un mythe qui a sa place dans l’histoire de la musique, la société, l’imaginaire collectif. Gounod, manifestement emporté par la fascination qu’exerce sur lui l’opéra, reprend : « La partition de Don Juan […] est restée pour moi une sorte d’incarnation de l’impeccabilité dramatique et musicale : je la tiens pour une œuvre sans tache, d’une perfection sans intermittence ».

A travers des comptes rendus de production, des impressions de concert, des interviews, des commentaires d’interprétation, ce dossier part à la découverte du mythe. Classicagenda confronte ainsi trois metteurs en scène : Michael Haneke (Opéra de Paris, 2006), Stéphane Braunschweig (Théâtre des Champs-Elysées, 2014), Krzysztof Warlikowski (Théâtre Royal de la Monnaie, 2014) — deux chefs d’orchestre : Sir Georg Solti (Opéra de Paris, 1996), Alain Altinoglu (Opéra de Paris, 2015) — et un chanteur : Ruggero Raimondi, Don Juan s’il en est, du film de Joseph Losey en 1979 à aujourd’hui.

Il n’est pas ici question de faire la revue des plus grandes mises en scène ou interprétations de Don Giovanni. Des productions qui ont fait date ne sont pas commentées ici (ou pas encore…) : on pense à Peter Sellars au MC93 en 1989, à Peter Brook et Dmitri Tcherniakov à Aix en 1998 et 2010, à Robert Carsen à la Scala en 2011… et à tant d’autres. De grands séducteurs sont également éclipsés : Cesare Siepi, Peter Mattei, Bryn Terfel

Quoi qu’il en soit, les collaborateurs de Classicagenda ne livrent ici que leurs propres impressions sur des Don Giovanni qui les ont marqués, hier et aujourd’hui. Don Juan libre et séduisant chez Losey, victime de son addiction pour Warlikowski, méchant patron chez Haneke, angoissé selon Altinoglu ; le Leporello vainqueur de Braunschweig, l’Elvire amoureuse et rageuse de Solti : tous ces regards sur Don Giovanni participent à la création du mythe.

Pour conclure et justifier une dernière fois ce dossier, si mince soit-il face au monument qu’il aborde timidement, Classicagenda ne peut que reprendre à son compte les mots qu’utilise Gounod pour introduire son Don Juan de Mozart : « Ce commentaire n’est que l’humble témoignage de ma vénération et de ma reconnaissance pour le génie à qui je dois les joies les plus pures et les plus immuables de ma vie de musicien ».

 


CONTENU DU DOSSIER

Les clarinettes de Donne Elvire
par Juliette Guibert (Solti, Palais Garnier, 1996)

Raimondi sous l’œil de Losey
par Constance Clara Guibert (Losey / Maazel, film de 1979 ; et masterclass de Raimondi, salle Gaveau, avril 2010)

Leporello ossia il servitore acclamato
par Constance Clara Guibert (Braunschweig / Rhorer, Théâtre des Champs-Elysées, 2013)

Don Giovanni : Mozart à la Monnaie, Da Ponte au Sofitel
par Juliette Guibert (Warlikowski / Morlot, Monnaie de Bruxelles, 2014)

Alain Altinoglu à propos de Don Giovanni
recueilli par Frédéric Hutman (Haneke / Altinoglu, Opéra Bastille, 2015)

Haneke au cœur de la cruauté du capitalisme
par Cinzia Rota (Haneke / Altinoglu, Opéra Bastille, 2015)

 


EN SAVOIR PLUS

Au livre

Le Don Juan de Mozart, de Pierre Jean Jouve (1942), Éditions d’Aujourd’hui, coll. « Les Introuvables », 1977. Rééd. Christian Bourgois, 1986.

Le Don Juan de Mozart, de Charles Gounod (1890), Editions d’Aujourd’hui, coll. « Les Introuvables », 1980.

Dictionnaire de Don Juan, sous la direction de Pierre Brunel, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999.

 

Au disque

[dans l’ordre : Don Giovanni, Leporello, Donna Elvira, Donna Anna]

Wilhelm Furtwängler, Wiener Philharmoniker / Cesare Siepi, Otto Edelmann, Elisabeth Schwarzkopf, Elizabeth Grümmer / EMI 1954 live

Carlo Maria Giulini, Philharmonia / Eberhard Wächter, Giuseppe Taddei, Elisabeth Schwarzkopf, Joan Sutherland / EMI 1959

Otto Klemperer, New Philharmonia / Nicolai Ghiaurov, Walter Berry, Christa Ludwig, Claire Watson / EMI 1966

Nikolaus Harnoncourt, Royal Concertgebouw / Thomas Hampson, Laszlo Polgar, Roberta Alexander, Edita Gruberova / Teldec 1989

Sir Georg Solti, London Philharmonic Orchestra / Bryn Terfel, Michele Pertusi, Ann Murray, Renée Fleming / Decca 1997

 

Au film

Film-opéra de Joseph Losey sorti en 1979 / Lorin Maazel, Orchestre de l’Opéra de Paris / Ruggero Raimondi, José van Dam, Kiri Te Kanawa, Edda Moser

Mise en scène de Peter Brook au Festival d’Aix 1998 / Daniel Harding, Mahler Chamber Orchestra / Bryn Terfel, Gilles Cachemaille, Mireille Delunsch, Alexandra Deshorties

 

 

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