Alice in wonderland © ROH / Johan Persson, 2011
Alice in wonderland © ROH / Johan Persson, 2011

Alice au pays des merveilles : un ballet éblouissant et spectaculaire

4 minutes de lecture

Depuis l’époque victorienne, le personnage d’Alice au pays des merveilles ne cesse d’enchanter enfants et adultes.
Lewis Carrol a le mérite d’avoir créé un univers étonnant et paradoxal, naïf et sombre à la fois, à travers un texte riche en subtilités, qui se prête à plusieurs niveaux de lecture ; ainsi qu’une protagoniste qui, pour une fois, est bien plus qu’une jeune belle, gentille et oppressée : Alice est active, curieuse, intelligente et courageuse au point d’oser défier la terrible reine de cœur.

Ce n’est donc pas un hasard si les aventures d’Alice continuent d’inspirer les artistes : on compte de nombreux long-métrages (dont celui de Tim Burton et la magnifique version surréaliste de Jan Švankmajer), des films d’animation (Disney), des opéras et des comédies musicales, des bandes dessinées, des jeux vidéos et même un livre sur la physique quantique !

Après le succès de 2011, le ballet commandé à Christopher Wheeldon par le Royal Opera House revient sur la scène londonienne et dans les cinémas pour nous offrir un nouveau voyage dans l’univers envoûtant du « pays des merveilles » imaginé par le designer Bob Crowley et mis en musique par Joby Talbot.

Grâce à un usage savant de la vidéo, des marionnettes et des lumières, la narration est dynamique et fluide, et le ballet visuellement très réussi : des moments spectaculaires, comme les convaincantes transformations d’Alice — interprétée par une Sarah Lamb délicieuse et expressive — alternent avec des passages plus simples mais à l’effet stupéfiant, comme quand elle regarde à l’intérieur d’une petite porte et plusieurs danseurs aux habits colorés apparaissent en salle aux côtés du public.

La caractérisation des personnages est très efficace, que ce soit des animaux comme le lapin agité d’Alexander Campbell, le chat du Cheshire qui se décompose, les charmants flamands roses, ou encore la fascinante chenille, sublimée par un sinueux Eric Underwood, dont le corps est fait par une dizaine de danseuses sur pointes, ou des humains comme la Duchesse et la folle cuisinière que Philip Mosley et Kristen McNally rendent particulièrement effrayantes, le roi et la reine de cœur ou encore les cartes, qui portent leur valeur sur la tête et l’enseigne sur la jupe.

Si les décors sont riches et soignés, comme le champignon qui ressemble à une tente indienne ou la maison de la duchesse représentée comme une broderie ; l’intrigue de Nicholas Wright ne laisse rien à l’hasard : objets, lieux et personnages se succèdent dans un jeu de miroirs entre le réel et le fantastique, et où les danseurs interprètent les alter ego du pays des merveilles.

Si quelques passages sont un peu moins réussis, comme l’heure du thé chez le Chapelier fou ou la course du dodo, des moments très poétiques, comme le voyage en bateau en papier — fait avec des pages du livre de Carrol — et le pas de deux d’Alice et Jack, s’alternent avec des moments hilarants, comme l’Adagio à la tarte, où en écho à l’Adagio à la rose de La Belle au bois dormant, où la reine de cœur reçoit des tartes de la part de ses prétendants…

Mais le livre de Carrol a également un côté sombre, qui n’a pas été oublié dans ce ballet : l’abattoir qui se cache derrière la « Home Sweet Home » est effrayant, la lunatique reine de cœur qui se promène tranquillement avec une hache et menace de couper des têtes, et le démembrement du chat du Cheshire rappellant les œuvres dérangeantes de Damien Hirst.

La musique de Joby Talbot nous plonge immédiatement dans l’ambiance magique du conte avec une utilisation intelligente des percussions, où un tic-tac incessant souligne le temps qui fuit et l’inquiétude du lapin qui essaye d’être à l’heure. Elle guide le spectateur dans l’intrigue en étant descriptive, lyrique, effrayante ou chaotique, avec des références au jazz, au tango, aux danses de claquettes ou à la musique indienne.

Si la chorégraphie est principalement classique, avec des pas de deux, de quatre, des valses et des variations, elle garde une touche de modernité, comme quand Alice subit ses transformations. La danse des fleurs est charmante : un bal plein de couleurs et de légèreté, ainsi que le pas de deux romantique d’Alice et Jack — que Federico Bonelli rend attachant et dynamique — avec ses enchaînements qui reviennent comme des leitmotiv, sur une musique de conte de fées.

Mais la vraie protagoniste de ce ballet est la colérique et comique reine de cœur, interprétée par une remarquable Zenaida Yanowsky, qui mélange savamment la grâce des pas classiques aux gestes exagérés, comme les grands jetés en tournant… la hache à la main !

Le succès de ce ballet est donc lié non seulement à son sujet populaire, mais aussi au fait d’être un ballet de notre temps : dynamique et captivant, grâce à la vidéo ; riche en références à d’autres danses et styles de musique ; décontracté, en mettant sur scène des jeans délavés et un smartphone (car aujourd’hui même le catalogue de Leporello est digital) et interactif, vu qu’à l’entracte, pendant les retransmissions, on demande au public de partager ses réactions via les réseaux sociaux.

Pour finir, bravo à l’orchestre du Royal Opera House qui a contribué à insuffler de la vitalité et de la magie à cette soirée inoubliable.

 


En savoir plus 
Royal Opera House au cinéma
Royal Opera House

Séance exceptionnelle le 23 décembre 2014 à 16h dans tous les cinémas CGR.

 


Bande annonce

 


Distribution

Chorégraphie : Christopher Wheeldon
Musique :  Joby Talbot
Designs : Bob Crowley
Scénario : Nicholas Wright
Direction musicale : David Briskin
Orchestre : Orchestra of the Royal Opera House

Alice : Sarah Lamb
Jack/Valet de cœur : Federico Bonelli
Lewis Carroll/Lapin blanc : Alexander Campbell
Mère d’Alice/ Reine de cœur : Zenaida Yanowsky
Père d’Alice/Roi de cœur : Christopher Saunders
Magicien/Chapelier fou : Steven McRae
Rajah/Chenille : Eric Underwood
La Duchesse : Philip Mosley
Vicaire/Lièvre de mars : Paul Kay
Verger/Souris : James Wilkie
La cuisinière : Kristen McNally
Valet/Poisson : Sander Blommaert
Valet/Grenouille : Marcelino Sambé
Meaghan : Grace Hinkis
Beatriz : Stix-Brunell
Majordome/Bourreau : Michael Stojko
Jardiniers : Luca Acri, James Hay et Solomon Golding

 

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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