Le précurseur de la jeune génération du piano coréen.
Rencontre avec Donghyek Lim au festival “Les Coups de cœur de Martha Argerich” à Chantilly
Samedi 23 septembre, Chantilly, un beau rayon de soleil illumine le parc et le château. Ici l’été se prolonge : les feuilles dégagent leur dernière fraicheur. Le public visitant le château profite aussi bien de ces derniers instants estivaux que du patrimoine culturel abrité dans l’édifice – Grand collectionneur, Henri d’Orléans, duc d’Aumale, fils du dernier roi des Français, Louis Philippe, a fait du Château de Chantilly l’écrin des innombrables chefs-d’œuvre !
Le rendez-vous avec Martha Argerich et sa grande famille musicale commence à devenir un rituel annuel à Chantilly en construisant une notoriété pour les mélomanes de la région. “Les Coups de cœur à Chantilly” est aussi une occasion de découvrir les jeunes musiciens. La matinée de ce samedi était réservée à un artiste coréen : Dong Hyek Lim. Cette super star de K Classic – de l’échelle comparable d’une star de K Pop – est un ami de longue date de Martha Argerich. En effet la carrière du pianiste a été propulsée il y a 24 ans. Le premier enregistrement de Donghyek Lim est sorti en 2002 sous le label EMI dans la série « Martha Argerich présente… ».
Son album réalisé grâce à la générosité de sa marraine musicale avait remporté un Diapason d’or en juin 2002. « Notre première rencontre date de 1999. A l’issue d’un concours, Martha m’a invité à son festival à Beppu, au Japon. Je lui ai montré toutes mes capacités à son festival Beppu. Dès lors, notre amitié continue », dit le pianiste coréen. « Tu me rappelles mes jeunes années ! », disait Martha à Donghyek auparavant. Doté d’un tempérament de feu comme la jeune Martha, le jeune coréen dévorait les grands concertos romantiques (Chopin 2, Tchaikovski 1, Rach 2…) avec son jeu rapide, plein de fougue et d’émotion passionnelle. Au fur et à mesure des années qui passent, son jeu évolue et murit. Aujourd’hui le compositeur qui le fascine est Franz Schubert.

Galeries de peintures, à 11h, Le programme annoncé du récital de Donghyek Lim est celui de son dernier album Schubert (Warner Classics, 2022). « Le mot-clé du programme est Schubert vu sous l’angle classique et romantique à la fois » nous explique le pianiste, « la musique de Schubert nous oblige à apprendre constamment et réfléchir longuement pour comprendre son texte. Seule l’émotion ne suffit pas pour jouer du Schubert. Sa musique noble exige un certain niveau de culture, nécessite une approche académique. L’émotion doit être sous le contrôle de l’intellect ».
Donghyek Lim arrive sur scène, s’approche du grand Shigeru Kawai précipitamment. Le numéro 1 (Allegro molto moderato) des Impromptus Opus 90, D899, se déploie tel un monologue dans la salle : le début éloquent se suit d’une narration triste et pleurante. La sixte napolitaine est un moment de retenue de l’émotion.
Le pianiste marque une césure distincte pour la faire entendre tout en pianissimo. Le numéro 2 (Allégro) est une jolie cascade de notes de gammes face à laquelle le pianiste n’hésite pas à essayer son Rubato très romantique. Le parcours des doigts fluide et virevoltant dans la partie Allegretto du numéro 4 bascule vers une virtuosité lisztienne dans la partie Trio, accentuant un beau contraste.
Sous les mains de Donghyek Lim, le grand Shigeru Kawai réagit convenablement dans l’ensemble du programme Schubert. La facette monologue de Schubert se ressent aussi dans la Sonate, D 959. Le pianiste devient récitant d’une longue histoire (mouvement Allegro). Le mouvement Andantino sonne comme un chant désespéré. Au fur et à mesure, le visage de Donghyek Lim exprime tous les sentiments humains décrits dans les partitions. Après un fulgurant passage de fureur qui marque un point culminant sombre, le mouvement Scherzo-Trio, très enlevé, s’ouvre comme une joie retrouvée.
Après un début élégant, le Rondo (allegretto) se developpe vers une souffrance noire, peut-etre une remémoration d’un souvenir douloureux ? La virtuosité ne manque pas dans l’œuvre. La main droite de Donghyek balaye le clavier tandis que la main gauche résume toute l’histoire d’un ton grave dans la Coda (Presto).

Toutefois, le contexte du concert semble un défi pour le pianiste réputé pour sa sensibilité quasi nerveuse : quelques sonneries de téléphones venant du public se suivent de celle de l’horloge des galeries, des bruits provenant des coulisses ouvertes, la lumière du jour qui éclaire toute la salle, côté scène et côté public en même temps, les visiteurs du château qui se promènent pendant le concert… cette ambiance décontractée qui fait du charme au lieu semble perturber la concentration du pianiste. Il finit par fermer la porte des coulisses lui-même au cours de son interprétation de la Sonate D 959. Malgré toutes ces difficultés, Donghyek Lim joue comme bis les numéros 3 et 4 des Impromptus, histoire de compléter l’Opus 90.
Côté projet, le pianiste nous réserve une surprise pour l’année 2024. Une tournée avec son amie Martha est au programme avec un répertoire de duo : Fantaisie en fa mineur, Opus 103, D.940 de Schubert, Danses symphoniques, Opus 45 et Suite numéro 2, Opus 17 pour 2 pianos de Rachmaninoff. La représentation française est prévue pour avril à la Halle aux grains, Toulouse.
Site du festival : https://lescoupsdecoeurachantilly.com/
Site de l’artiste : https://www.donghyeklim.com/