Carmen © Julien Benhamou
Carmen © Julien Benhamou

Carmen à Rouen, hybride historiographique

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L’Opéra de Rouen fait revivre les décors de la création de Carmen en 1875 à l’Opéra Comique dans la version avec récitatifs de Guiraud donnée lors de la tournée qui a suivi la première parisienne. Une archéologie revisitée avec le soutien du Palazzetto Bru Zane, sous la baguette du directeur musical de l’Opéra de Rouen Normandie, Ben Glassberg.

Si certains revisitent Carmen à l’aune des combats contemporains – au risque peut-être de manquer parfois la véritable originalité corrosive d’une œuvre créée quelques années seulement après la défaite de 1870 et la Commune de Paris, l’Opéra de Rouen ouvre sa saison avec une démarche plus proche de la muséographie réinventée. Car en reconstituant, grâce à la riche iconographie léguée par les archives, les décors avec lesquels l’opéra de Bizet a été découvert, l’institution normande propose de retrouver, avec le soutien incontournable du Palazetto Bru Zane, les émotions visuelles originelles.

Carmen © Julien Benhamou
Carmen © Julien Benhamou

Plus que la littéralité des cartons-pâte, la scénographie d’Antoine Fontaine s’attache à retrouver, avec les techniques contemporaines et sous les lumières de Hervé Gary, le regard des spectateurs de l’époque. Les couleurs pittoresques des fonds de scène se retrouvent dans le folklore hispanique des costumes de Christian Lacroix ou encore dans les mouvements chorégraphiques réglés par Vincent Chaillet. Mais cette machine à remonter le temps, pour plaisante et lisible qu’elle soit, ne suffit pas à faire de la direction d’acteurs de Romain Gilbert davantage qu’un kaléidoscope de conventions scéniques.

La version musicale retenue n’y est pas tout à fait étrangère, avec la réintroduction, au début du premier acte, d’une saynète de genre, généralement coupée : la pantomime du mari jaloux, comme prémices comiques au drame qui va se jouer. Mais surtout, le choix des récitatifs de Guiraud – certes écrits à l’époque pour la tournée internationale et ancrés dans la tradition – avec une lourdeur des cordes qui jure assez avec la fluidité de l’orchestration de Bizet, contribue à tourner le spectacle vers un hybride historiographique, ni réellement documentaire, ni actuellement vivant.

Carmen © Marion Kerno
Carmen © Marion Kerno

On pourra toujours apprécier la générosité féline de Deepa Johnny, dont le médium nourri répond aux archétypes du rôle de Carmen. Remplaçant Thomas Atkins, Stanislas de Barbeyrac reprend en Don José un emploi qui appartient désormais plus au passé d’une voix prête pour les héros wagnériens – du moins applaudira-t-on les fêlures de son incarnation. Iulia Maria Dan se distingue par une Micaela moins blanche que de coutume. Nicolas Courjal impose un Escamillo robuste, matamore mais sans excès vulgaire. Faustine de Monès et Floriane Hasler forment en Frasquita et Mercédès un duo aussi complémentaire que celui composé par Thomas Morris et Florent Karrer en Remendado et Dancaïre. Le narcissisme viril n’échappe pas au Zuniga de Nicolas Brooymans, ni au Moralès de Yoann Dubruque. On connaît les qualités d’intonation du Choeur accentus, que rejoignent les enfants de la Maîtrise du Conservatoire de Rouen. La direction énergique de Ben Glassberg ne ranime pas pour autant une expérience pour amateurs, peu loquace sur l’intemporalité de Carmen.

Gilles Charlassier

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