Classicagenda était présent au Seoul Spring Festival of Chamber Music (SSF) du 26 avril au 7 mai à Séoul, en Corée du Sud. Ce festival est aujourd’hui considéré comme l’événement le plus représentatif du pays dans le domaine de la musique de chambre.
Séoul, Corée du Sud. Ici tout semble gigantesque et tout se passe très vite. C’est la culture du Pali Pali (C’est une expression qui signifie « vite, vite ». Les coréens sont impatients et travaillent à toute vitesse pour voir les résultats rapidement). Cette culture de Fast execution (exécution rapide) règne paradoxalement dans tous les domaines du “pays du matin calme” y compris dans celui de la musique classique.
Abritant 10 millions d’habitants, la capitale de la Corée du sud est une ville très étendue avec sa superficie 5 fois plus grande que Paris. Les immeubles flambant neufs qui poussent comme des champignons côtoient quelques vieilles maisons traditionnelles rescapées face à une vague de modernisation. Dans le domaine de la culture aussi, notamment dans la musique, de nouveaux lieux et projets, qu’ils soient d’initiative privée ou publique, naissent constamment.

Le Seoul Spring Festival of Chamber Music (SSF) a vu le jour en 2006 dans ce contexte dynamique. Dong Suk Kang, son directeur artistique, violoniste de renommée internationale, a eu l’ambition de créer à Séoul un festival digne de grandes villes européennes tels que Salzburg, Bregenz, Edinburgh… Chaque année, de nombreux musiciens internationaux de différentes générations et origines y sont invités à jouer. Grâce à sa programmation savamment conçue par son directeur artistique, le SSF est aujourd’hui considéré comme l’événement le plus représentatif du pays dans le domaine de la musique de chambre.
Comme son thème « The More, The Merrier » l’annonçait, on y entendait également, en dehors des formations habituelles de duo, trio ou quatuor, des œuvres de diverses formations rarement jouées comme le sextuor ou l’octet. A cette occasion nous avons eu le plaisir d’assister à quelques concerts dans différents lieux à Séoul. En voici quelques impressions des soirées du 27 et du 28 avril.

Le programme du 27 avril au Séjong Culture Center s’intitule « Four for Four » avec diverses formations de quatre instruments. La soirée a démarré avec le Quatuor avec contrebasse n.2 de Franz Anton Hoffmeister, compositeur allemand qui met à l’épreuve non seulement l’interprète mais aussi l’auditeur. En général notre oreille est habituée à entendre la voix aigüe du violon. Mais dans cette œuvre de formation inhabituelle, la contrebasse n’a quasiment pas le rôle de soutenir les autres mais essaie de devenir un véritable personnage principal, même avec sa voix bien grave. La contrebasse, sous l’archet de Youngsoo Lee, mène le discours tantôt rigoureux et autoritaire, tantôt humoristique.
Gestique rigoureuse et uniforme
La Quatuor à cordes n.2 en la mineur a été jouée par Quatuor ARETE. Ce jeune ensemble coréen, gagnant de nombreuses récompenses des concours internationaux, a notamment remporté le concours du Festival Printemps de Prague 2021, et depuis les quatre musiciens se produisent à travers toute l’Europe. Avec une parfaite osmose et une gestique rigoureuse et uniforme des quatre archets, leur jeu est à couper le souffle. Hélas, l’acoustique très sèche de la salle n’a pas favorisé une diffusion sonore adéquate à leur interprétation. Ils ont tout de même produit une sonorité résonnante grâce à leur vibrato ample et riche, bel et bien nécessaire à l’œuvre de Mendelssohn.
Hayoung Choi, un esprit de liberté
Le Quatuor pour hautbois et trio avec piano H.315 de Bohuslav Martinu était un bel instant d’évasion. Pourtant cette œuvre d’apparence pleine de fraicheur fait partie du répertoire de la période sombre du compositeur tchèque après son accident (une chute survenue en 1946 qui l’a empêché d’écrire de la musique). Nous y remarquons Hayoung Choi, vainqueure du Concours Reine Elisabeth de Bruxelles en 2022. Avec son archet respirant d’un élan large et profond, la jeune violoncelliste a inculqué un esprit de liberté plein de vitalité.

Le Quatuor pour piano et cordes n.1 en do mineur de Gabriel Fauré ne manquait pas d’élan. Gary Hoffman au violoncelle a assuré une solide assise pour l’ensemble sonore. Enveloppant et bienveillant envers les autres instruments, le piano de Junhee Kim ne les couvrait jamais.
« Pour la partie de piano, le quatuor de Fauré est sans doute l’une des plus difficiles partitions du répertoire de chambre »
« Pour la partie de piano, le quatuor de Fauré est sans doute l’une des plus difficiles partitions du répertoire de chambre ». Junhee Kim – 2ème prix du Concours Long-Thibaud 2007 et premier prix du Concours International de Vladimir Horowitz (Kiev, 2017) – n’hésite pas à le préciser. « Toutefois j’ai eu un réel plaisir à travailler cette partition de difficulté redoutable grâce aux partenaires enthousiastes et au conseil artistique de Gary Hoffman. Avec lui j’ai beaucoup discuté à propos du compositeur, sa vie et ses œuvres. Tout cela nourrit notre jeu. C’est précieux de pouvoir jouer avec les grands artistes invités du festival et bénéficier de leurs conseils artistiques ».

Numéro 18
« Tiens ! c’est mon numéro 18 ». Cette expression coréenne s’emploie pour désigner l’œuvre favorite de quelqu’un qui met en valeur ses talents ou capacités musicales. La soirée du 28 avril au Seoul Arts Center se nommait justement « Opus 18 » en clin d’œil à l’expression et aussi en fil rouge de la célébration de la 18ème édition du festival. Celui de Beethoven (Quatuor n.6 en si bémol majeur) a débuté la soirée. Très haydnienne dans l’ensemble de sa structure harmonique, l’œuvre fait partie de la première période des quatuors de Beethoven. Le Quatuor ARETE a parcouru les quatre mouvements tout en respectant leurs différentes atmosphères. Après l’espièglerie de l’Allegro con brio, et l’instant méditatif de l’Adagio, ma non troppo, la belle pâte sonore produite par les quatre archets dans la Malinconia constituait une pause nécessaire entre deux mouvements rapides et très engageants : le Scherzo jovial et l’Allegretto quasi Allegro. Cette fois-ci les musiciens ont expérimenté la riche acoustique de la Salle IBK conçu pour le répertoire de chambre.

Exigeant une virtuosité redoutable aux trois instruments, le Trio pour piano n.1 de Camille Saint-Saëns place les musiciens au défi. Le violon de So-Ock Kim et le violoncelle de Hayoung Choi sont constamment soutenus durant tout le trio par la direction très claire de Björn Lehmann au piano. Musique poignante et pathétique, ce trio de Saint-Saëns illustre excellemment le côté mélodiste du compositeur. Les musiciens ont montré un bel exemple d’imagination visuelle de la musique française.
Le fameux Sextuor à cordes n.1 en si bémol majeur de Johannes Brahms a clos la soirée de l’Opus 18. Jinjoo Cho au premier violon et Young-Chang Cho au violoncelle, constituant les deux piliers de l’ensemble, menaient le discours musical. Le violon extravagant et énergétique de Jinjoo Cho donnait du pathos à l’œuvre tandis que l’archet sensible et réfléchi de Young-Chang Cho canalisait la passion débordante, ce qui équilibrait l’ensemble sonore.
Période du Seoul Spring Festival of Chamber Music : du 26 avril au 7 mai 2023
Le 27 avril Four for Four
A. Hoffmeister / Double Bass Quartet No. 2 in D Major
Mendelssohn / String Quartet No. 2 in a minor, Op. 13
M C. Saint-Saëns / Piano Trio No. 1, Op. 18
artinů / Quartet for Oboe, Violin, Cello & Piano, H. 315
Fauré / Piano Quartet No. 1 in c minor, Op. 15
Le 28 avril SSF Opus 18
v. Beethoven / String Quartet No. 6 in Bb Major, Op. 18
Saint-Saëns / Piano Trio No. 1, Op. 18
Brahms / Sextet No. 1 in Bb Major, Op. 18