Sonya Yoncheva
Sonya Yoncheva © Gregor Hohenberg

Sonya Yoncheva enchante la Philharmonie de Paris

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Si les dernières prises de rôles de Sonya Yoncheva regardent essentiellement vers le grand répertoire romantique, il ne faut pas oublier que la chanteuse a été formée au Jardin des Voix de William Christie et que son répertoire s’est même étendu jusqu’à Monteverdi (L’incoronazione di Poppea et Il ritorno d’Ulisse in patria). Comme pour nous montrer qu’elle n’a pas complètement abandonné le répertoire baroque, la soprano bulgare a sorti récemment un album consacré à Georg Friedrich Haendel. Le récital qu’elle donnait mardi 18 avril à la Philharmonie de Paris s’articulait donc logiquement autour du Saxon, mais incluait également des extraits d’œuvres de Purcell et de Rameau.

Bien sûr, depuis le Jardin des Voix, la voix de Sonya Yoncheva a évolué, a mûri. La projection et le vibrato semblent s’être éloignés de ce qu’on entend couramment dans ce répertoire. Mais Yoncheva en connaît bien les codes et la grammaire, et ce récital se révèle extrêmement enthousiasmant.

Après l’Ouverture de Giulio Cesare, Sonya Yoncheva entame son tour de chant par l’air de Cléopâtre, « V’adoro, pupille » (Giulio Cesare). Dès l’attaque des premières notes, la voix chaude et [epq-quote align=”align-left”]Dès l’attaque des premières notes, la voix chaude et cuivrée de la soprano enveloppe toute la Grande Salle de la Philharmonie.[/epq-quote]cuivrée de la soprano enveloppe toute la Grande Salle de la Philharmonie. Cette incroyable projection a pour unique défaut de mettre en relief un certain déséquilibre sonore avec l’orchestre, qu’elle aurait tendance à recouvrir presque entièrement. Mais il paraît difficile de pouvoir résister à ce timbre pulpeux au medium si riche et à l’aigu si solaire.

Le récital se poursuit ensuite avec « Non disperar, chi sa » (Giulio Cesare). Ces deux premiers airs de Cléopâtre ne sont pas exempts de minauderies et de certaines poses un peu stéréotypées dont on espère qu’elles sont uniquement liées à une certaine conception du personnage au début de l’opéra de Haendel. Dès le « Se pietà di me non senti », nous voilà rassurés. Sa Cléopâtre est soudain débarrassée de toute affectation, et Yoncheva rend merveilleusement compte du désespoir de cette femme et de sa dignité de reine, avec un souci évident de dépouillement. La maîtrise du souffle est telle que chacune de ses respirations semble mise au service de l’incarnation. Dans l’ensemble des airs d’Haendel de cette soirée, notre seul regret concerne finalement le cruel manque d’audace dans les da capo, qu’on aurait pu espérer plus élaborés et plus originaux.

Sonya Yoncheva 1
Sonya Yoncheva © Julian Hargreaves

En fait, tout au long de cette soirée, Yoncheva ne sera jamais aussi convaincante et bouleversante que dans les airs privilégiant une certaine simplicité de la ligne et dépeignant une déploration retenue. Ainsi, « Tristes apprêts » (Castor et Pollux) marque bien plus que l’air de Dardanus « L’Amour, le seul Amour est le charme des cœurs ». Et les deux plus belles réussites de ce récital sont assurément l’air de Theodora « With darkness deep, as is my woe » et la mort de Didon « Thy hand, Belinda … When I am laid in earth ». Durant ce passage poignant, le public fait d’ailleurs preuve d’une grande qualité d’écoute ; les raclements de gorge ont cessé et chacun reste suspendu aux lèvres de la Reine de Carthage, avant de manifester son enthousiasme par de bruyants « Evviva ! », « Divina ! »…

Dans un tout autre registre, l’air des Sauvages des Indes Galantes, « Forêts paisibles », est également très réussi. Conduit à un tempo très soutenu, il fait entendre un orchestre joyeux et sautillant dans la Danse du Calumet. Et on ne boude pas son plaisir de voir Yoncheva danser et virevolter au milieu des instrumentistes en s’accompagnant elle-même au tambourin. On se demandera tout de même s’il était indispensable de chanter seule un extrait qui fait appel, en principe, à un chœur et deux solistes. Ne pouvait-on pas trouver dans toute l’œuvre de Rameau un seul autre air approprié à la voix de Yoncheva dont on n’aurait pas eu à amputer la moitié des lignes vocales ?

Mais ce sont là des regrets mineurs, et le concert se termine par une chaleureuse acclamation du public, dont une partie ovationne même debout la cantatrice en lui réclamant des bis, chacun y allant d’ailleurs de ses propres requêtes personnelles. Après un « Lascia ch’io pianga » qui sonne comme un léger contre-sens tant il est interprété de manière enjouée, Alessandro de Marchi et Sonya Yoncheva reprennent « Forêts paisibles » en faisant taper le public dans ses mains (message personnel à ma voisine de derrière : ce n’est pas une raison pour se mettre à chanter en même temps), puis termine ce superbe concert par une ultime reprise de « With darkness deep, as is my woe ».


18 avril 2017 à la Philharmonie de Paris

Georg Friedrich Haendel
Extraits de Giulio Cesare, Alcina, Theodora et Rinaldo

Jean-Philippe Rameau
Extraits de Dardanus, Castor et Pollux et Les Indes Galantes

Henry Purcell
Extraits de Dido and Æneas

Sonya Yoncheva
Accademia Monti Regalis
Direction : Alessandro de Marchi

Biberonné à la musique classique dès le plus jeune âge, j’ai découvert l’opéra à l’adolescence. En véritable boulimique passionné, je remplis mon agenda de (trop) nombreux spectacles, tout en essayant de continuer à pratiquer le piano (en amateur). Pour paraphraser Chaplin : « Une journée sans musique est une journée perdue »

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