Il y a quelque chose d’assez audacieux à programmer un récital tout Mozart. Certes, il ne s’agit pas de la même audace que celle de proposer des œuvres rares, sans garantie qu’elles suffisent à remplir une salle. Non, l’audace d’un récital Mozart est différente : c’est fouler des terrains déjà foulés mille fois, c’est oser s’exposer à de multiples comparaisons, c’est se confronter à des airs et à des rôles où les références de légende surabondent, sans le secours d’une construction scénique. Donc oui, il faut bien de l’audace pour programmer un récital entièrement dédié à Mozart.
Mais heureusement, l’affinité mozartienne de Stéphanie D’Oustrac ne date pas d’avant-hier. D’ailleurs, le programme de ce concert est fort intelligemment construit comme une sorte de condensé des rôles actuels et passés de la chanteuse : des rôles travestis en 1ère partie et des rôles féminins après l’entracte. À chaque partie la même trajectoire allant de personnages simples à des figures plus tourmentées. On s’étonnera seulement de l’absence de Dorabella dans cette galerie de portraits.
On oublie rapidement le Cherubino introductif (« Voi che sapete che cosa è amor ») mis à mal par des problèmes de justesse. Stéphanie d’Oustrac avait manifestement besoin d’un tour de chauffe avant d’aborder un Idamante bien plus convaincant (« Non ho colpa, e mi condanni »).
C’est avec Sesto (« Parto, ma tu ben mio ») que la magie commence véritablement à opérer. On se souvient du bouleversant Sesto qu’elle incarnait au Palais Garnier fin 2017. Retrouver en récital cette justesse d’incarnation relève du grand art. Car il faut bien parler d’art lorsqu’il s’agit de Stéphanie d’Oustrac. Ce qui fascine chez elle, c’est l’intelligence remarquable de la musicienne. La caractérisation des personnages naît d’une respiration signifiante, de la subtilité d’un phrasé, d’un ralenti sur un mot, d’une attention permanente au texte, du souci du détail musical… faisant ainsi oublier un timbre parfois un peu métallique, tel ou tel aigu trop tendu ou des graves parfois détimbrés.
La seconde partie du concert laisse place aux personnages féminins. Plus encore qu’avant l’entracte, Stéphanie D’Oustrac parvient à se fondre en un clin d’œil dans des affects extrêmement variés. Elle devient une Zerlina délicieusement mutine (« Batti, batti, o bel Masetto ») où la fausse ingénuité échappe à toute vulgarité, ainsi qu’une poignante Elvira où la vocalise se mue peu à peu en un long sanglot (« Mi tradì, quell’alma ingrata »). L’air de concert « Ch’io mi scordi di te » installe un magnifique dialogue entre la mezzo et le piano fluide et délicat de Pascal Jourdan.
L’Orchestre de chambre de Paris, dirigé par Jonathan Cohen, a de nombreuses occasions de briller dans les grandes pages orchestrales qui ponctuent le concert. On note quelques acidités dans les pupitres de cordes, et le finale de la 27e symphonie fait légèrement trébucher les musiciens, la faute à un tempo extrêmement vif qui bouscule les lignes et fait perdre la netteté des attaques. Mais le chef joue habilement sur les contrastes dynamiques. Il faut entendre la manière dont les crescendos, sur quelques mesures à peine, révèlent la cohérence et la cohésion des instrumentistes, comme si le gonflement sonore était l’œuvre d’un seul bras. De plus, le chef et l’orchestre parviennent à insuffler un vrai esprit de danse dans les extraits du ballet d’Idomeneo.
En rappel, « Non so più cosa son, cosa faccio », montre un Cherubino plein d’esprit qui boucle la boucle en faisant oublier l’accident du début du concert. Celui-ci se conclut alors sur un « Abendempfindung an Laura » mélancolique et joliment dépouillé.