De peur que je n’apprenne à te connaître trop facilement,
tu joues avec moi.
Tu m’éblouis de tes éclats de rire pour cacher tes larmes.
Je connais tes artifices.
Jamais tu ne dis le mot que tu voudrais dire.
De peur que je ne t’apprécie pas, tu m’échappes de cent façons.
De peur que je te confonde avec la foule, tu te tiens seule à part.
Je connais tes artifices.
Jamais tu ne prends le chemin que tu voudrais prendre.
Tu demandes plus que les autres, c’est pourquoi tu es silencieuse.
Avec une folâtre insouciance, tu évites mes dons.
Je connais tes artifices.
Jamais tu ne prends ce que tu voudrais prendre.
Rabindranath Tagore (Le Jardinier d’amour, XXXV)
Depuis 2016, le jardin des 9 carrés de l’abbaye de Royaumont, présente une nouvelle collection de plantes. Imaginée par les paysagistes Olivier Damée et Edith Vallet, l’exposition nous fait découvrir les migrations végétales à l’époque de Saint Louis, entre Orient et Occident, croisades, explorations et échanges commerciaux.
C’est sur les poèmes du Jardinier d’amour de Rabindranath Tagore (1861-1941), poète, compositeur, écrivain, dramaturge, peintre et philosophe indien, qu’Alexander von Zemlinsky s’est basé pour la Symphonie lyrique, son œuvre la plus connue.
Dans le cadre du Festival de Royaumont, et plus particulièrement dans une journée dédiée aux Génies viennois, elle est présentée dans une version de chambre à 34 musiciens et deux solistes, arrangée par Thomas Heinisch.
C’est le Secession Orchestra, ensemble en résidence à la Fondation Royaumont et à la Médiathèque Musicale Mahler depuis cette année, qui prend place sur la scène du réfectoire des moines, en attendant l’arrivée de son directeur musical et artistique Clément Mao-Takacs.
Fondé en 2011, la formation à géométrie variable comporte une quarantaine de musiciens et, comme son nom l’indique, part de la Sécession viennoise et de Mahler pour explorer les répertoires des XXe et XXIe siècles.
Nous avons la chance de pouvoir y retrouver comme soliste le superbe baryton Stéphane Degout, aux côtés de la jeune soprano Elsa Dreisig, gagnante du prestigieux concours “Operalia” et révélation lyrique aux Victoires de la musique classique.
Dans cette œuvre intérieure et spirituelle, Degout montre une théâtralité sans excès, et une touchante expressivité, sublimée par une ligne vocale propre et précise. Moins expérimentée que son collègue, Dreisig nous offre tout de même une prestation vocale aisée, et remplit son personnage de douceur et d’humanité. Nous suivons le parcours de l’homme et de la femme, entre désir, rencontre, partage, séparation et apaisement.
Blumine, second mouvement de la Symphonie º 1 de Mahler, et l’Enchantement du Vendredi Saint, tiré du troisième acte du Parsifal de Wagner, complètent ce parcours contemplatif, où l’être humain se retrouve face à la nature.
Si pour ces deux œuvres on regrette un peu la puissance émotionnelle d’un grand orchestre, la version de chambre de la Symphonie lyrique reste très convaincante, grâce aussi à l’engagement et au raffinement des instrumentistes guidés par la baguette attentive de Clément Mao-Takacs.
Ce concert est un hommage au baryton-basse américain Daniel Ferro, qui a enseigné à Royaumont de 1982 à 1996, et qui eut une profonde influence dans la réforme de l’enseignement du chant en France.
On compte parmi ses élèves de grands chanteurs internationaux, dont Kathleen Battle, Régine Crespin, Evelyn Lear, Ruggero Raimondi, Barbara Hendricks, Anna Moffo, et bien d’autres. Une table ronde lui a également été dédiée le matin, avec la participation de ses anciens élèves, de personnalités et d’anciens responsables du Ministère de la Culture, afin de ne pas oublier l’apport de celui qui fut aussi fondateur et directeur artistique du prestigieux “Daniel Ferro vocal program” de Greve in Chianti et qui créa le Spoleto Vocal Institut.
Toujours dans l’esprit de connexion entre les différentes disciplines, qui fait la particularité de la Fondation Royaumont, on y retrouvera jusqu’au 8 octobre une exposition sur Alexandre von Zemlinsky. Imaginée par Paul Bernard-Nouraud et Alena Parthonnaud, sur la carrière du compositeur et le contexte du sécessionnisme viennois, elle sera ensuite visible à la Médiathèque Jean Lévy de Lille du 11 octobre au 21 novembre, dans le cadre de la nouvelle production du Nain de Zemlinsky à l’Opéra de Lille.