Il Trionfo del Tempo e del Disinganno
Il Trionfo del Tempo e del Disinganno © Festival d'Aix-en-Provence

Il Trionfo del Tempo e del Disinganno : Beauté et Plaisir éphémères

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En 1707, à seulement 22 ans, Georg Friedrich Haendel écrit son premier oratorio : Il Trionfo del Tempo e del Disinganno. Krzysztof Warlikowski s’empare de cette œuvre qui n’a pas été pensée comme un opéra et en extrait le meilleur pour nous donner à voir et à entendre une allégorie parfaite qui signe le triomphe des émotions sur le livret moralisateur du cardinal Benedetto Pamphili.

 

« Cet oratorio est un scandale. La lecture de son livret est un choc. C’est une pure œuvre dogmatique au même titre que des créations de l’époque stalinienne. Toute représentation ou exécution du Trionfo devrait être précédée d’un commentaire portant sur son contenu idéologique. Mettre en scène cet oratorio ne peut s’envisager sans une lutte avec son insupportable message. ». Ce sont en ces termes que KI nous parle de l’œuvre d’Haendel qu’il a présenté au Festival lyrique d’Aix-en-Provence. Se battre contre le livret, c’est justement ce qu’il fait avec beaucoup de réussite, tout en « modernisant » le propos. C’est ainsi qu’il mettra en scène le suicide final de la Belleza (Beauté) plutôt que le triomphe de la religion.

Dans une scénographie astucieuse, nous contemplons des rangées de siège comme celles d’une salle de cinéma. Au centre, une tour de verre dans laquelle se reflète, dès l’ouverture, la silhouette de la chef d’orchestre Emmanuelle Haïm. Par la suite, ce sera une sorte de sas d’où surgiront les fantômes du passé. Monter une œuvre sans réel ressort dramatique est loin d’être aisé. Pourtant, nous sommes séduits par ce que propose Krzysztof Warlikowski bien que sa mise en scène ne soit pas toujours pertinente et manque parfois de relief. Nous attendions quelque chose de moins scolaire. Il faut dire que la vidéo en intermède où Jacques Derrida s’adresse à Pascale Ogier et évoque les fantômes vient légèrement casser le rythme installé par un orchestre impeccablement dirigé et une distribution de haut vol.

Emmanuelle Haïm, que nous retrouverons prochainement au Théâtre des Champs-Elysées de Paris pour une nouvelle production avec Le retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi, se montre exigeante et précise et s’applique à faire ressortir tous les contrastes de cette œuvre de jeunesse. Le Concert d’Astrée, qui s’illustre dans la musique baroque, fait ici des merveilles et accompagne parfaitement la distribution d’une qualité exceptionnelle. Le contre-ténor Franco Fagioli est le Plaisir. Sa partition est un pur souffle, incroyable, qui montre une grande virtuosité. C’est en effet un véritable plaisir vocal et ce rôle lui convient totalement.

Il Trionfo del Tempo e del Disinganno © Festival d'Aix-en-Provence
Il Trionfo del Tempo e del Disinganno © Festival d’Aix-en-Provence

La contralto Sara Mingardo nous bouleverse en Désillusion qu’il faut rapprocher de la notion de Vérité. Tenant déjà ce rôle cette saison à la Scala de Milan, elle le maîtrise de bout en bout et s’impose pleinement sur le plateau tandis que le ténor Michael Spyres séduit en survolant les octaves avec une grande aisance. Enfin, la soprano Sabine Devieilhe, qui attend un heureux événement pour le mois de novembre et qui se tiendra donc éloignée des scènes lyriques cette saison, prouve, si besoin en était encore, ses facilités déconcertantes dans les aigus. Elle est une Beauté toute en sobriété et est véritablement poignante dans son incarnation du désespoir. Son aria Tu del ciel ministro eletto est peut-être le plus sublime et fait perler des larmes au coin de nos yeux.

Bien plus que le Temps ou la Vérité, les quatre personnages allégoriques  nous font assister bel et bien au triomphe de l’émotion que Krzysztof Warlikowski sait faire évoluer de façon crescendo jusqu’à l’acte de la Beauté de se repentir. Au Théâtre de l’Archevêché d’Aix-en-Provence, en plein air, nous savourons la mise en scène miroir qui nous renvoie à une profonde réflexion tout en nous délectant de la qualité musicale et vocale offerte ce soir-là.

Professeur des écoles le jour, je cours les salles de Paris et d'ailleurs le soir afin de combiner ma passion pour le spectacle vivant et l'écriture, tout en trouvant très souvent refuge dans la musique classique. Tombée dans le théâtre dès mon plus jeune âge en parallèle de l'apprentissage du piano, c'est tout naturellement que je me suis tournée vers l'opéra. A travers mes chroniques, je souhaite partager mes émotions sans prétention mais toujours avec sensibilité.

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