Damien Guillon
Damien Guillon © Julien Mignot

Une soirée Purcell avec le Banquet Céleste

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Le jeudi 24 mars, les Moments Musicaux des Alpes Maritimes ont poursuivi leur saison de musique ancienne à la Cathédrale Sainte-Réparate de Nice, cette fois avec l’ensemble Le Banquet Céleste dirigé par le contre-ténor Damien Guillon ; ils ont interprété trois œuvres peu connues du compositeur Henry Purcell.

C’était le deuxième concert d’une tournée célébrant la sortie de leur nouveau CD : Purcell, Royal Odes (ALPHA780). Le concert a reproduit l’intégralité de la musique du disque : trois pièces de circonstance composées par Purcell entre 1683-1685 pour Charles II et James II : From those serene and rapturous joys (De ces joies sereines et extatiques), Z. 326, Fly, bold rebellion (Volatilise-toi, insolente rébellion), Z. 324 et Why are all the Muses mute (Pourquoi toutes les Muses sont-elles muettes ?), Z. 343. Ce sont trois odes de bienvenue, « Welcome Songs », composées à l’occasion de déplacements royaux : chaque fois que l’entourage royal rentrait à Londres, au palais de Whitehall, après l’été, leur arrivée était célébrée par des poèmes mis en musique par Purcell.

Trouvailles musicales

Ce fut un plaisir d’entendre ces odes qui sont beaucoup moins souvent jouées en concert que les odes plus connues comme Hail ! Bright Cecilia, Z. 328 et la Music for the Funeral of Queen Mary, Z. 860.  Dommage que le programme imprimé ne contînt pas ni les textes ni les traductions car cela aurait faciliter l’appréciation de ces œuvres qui ne sont pas uniquement des louanges conventionnelles au roi, mais traitent aussi de complots et même — avec un indéniable humour —des plaisirs champêtres de la cour. Elles ne sont généralement pas considérées parmi les chefs d’œuvre de Purcell, mais contiennent des trouvailles musicales qu’il utilisera dans ses opéras les plus connues. Par exemple, les tendres répétitions du mot « never » dans « Welcome to all those wishes fulfill’d » (dans Fly, bold rebellion) préfigurent ces mêmes répétitions dans le chœur final de Dido and Æneas Z. 626 (« With drooping wings »), composé six ans après.

Le Banquet Céleste
Le Banquet Céleste © Julien Benhamou

Damien Guillon en chef d’orchestre

L’ensemble était composé de huit chanteurs et de huit instrumentistes. Dans son CD, Damien Guillon chante lui-même quelques airs, mais en concert il s’est contenté du rôle de chef d’orchestre, avec une gestuelle clair mais non interventionniste. Les instrumentistes ont joué les « symphonies » introduisant chacune des odes avec une précision rythmique admirable et un phrasé collectif imaginatif, mettant en valeur cette musique écrite dans le style des ouvertures à la française, avec une introduction en notes pointées suivie d’un allegro en style fugato.

Le public a apprécié le timbre délicat du ténor David Tricou dans « With Trumpets and Shouts We Receive the World’s Wonder » (extrait de From those serene and rapturous joys) et dans le premier air de Why are all the Muses mute ? La basse Nicolas Brooymans s’est distingué par ses notes gravissimes dans « Welcome as Soft Refreshing Show’rs » (dans From those serene and rapturous joys) et « The plot is displayed » (dans Fly, bold rebellion). Les airs les plus divertissants du programme, comme celui empreint de chauvinisme ironique « Britain, thou now art great, are great indeed ! » (dans Why are all the Muses mute ?) étaient confiés au contre-ténor Paul Figuier, qui les a chantés avec un accompagnement léger d’orgue, luth et violoncelle.

Le public aurait d’autant plus apprécié ces performances si les chanteurs avaient été placés devant l’orchestre, plutôt que derrière. Pendant une grande partie de la soirée, ils ont peiné à se faire entendre, sauf pour les brefs moments quand certains se sont déplacés devant les instrumentistes pour chanter un air.

Damien Guillon
Damien Guillon © Damien Guillon

Le concert s’est terminé par « The glory of earth and the darling of Heaven ! » (de Why, why are all the Muses mute ?) dont le texte promet que la gloire du roi James II perdurera jusqu’à la fin des temps, lorsque sa splendeur et le monde entier disparaîtront ensemble. Il est surprenant que ce morceau ostentatoire se termine si doucement, sur les lignes chromatiques descendantes des voix, accompagnées par le violoncelle et le luth. Ce fut l’un des moments mémorables de la soirée. Le bis exubérant « With Trumpets and Shouts We Receive the World’s Wonder » de From those serene and rapturous joys a conclu ce programme original.

Jacqueline Letzter et Robert Adelson, historienne de la littérature et musicologue, sont les auteurs de nombreux livres, dont Ecrire l'opéra au féminin (Symétrie, 2017), Autographes musicaux du XIXe siècle: L’album niçois du Comte de Cessole (Acadèmia Nissarda, 2020) et Erard: a Passion for the Piano (Oxford University Press, 2021). Ils contribuent à des chroniques de concerts dans le midi de la France.

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