19h, New York, Lincoln plaza.
Après l’avoir virtuellement visité jusque dans les loges en compagnie de Renée Fleming, Joyce di Donato ou Placido Domingo, grâce aux retransmissions au cinéma, le Metropolitan Opera m’apparaît étonnamment familier.
Deux peintures murales de Marc Chagall, Le Triomphe de la musique et Les Sources de la musique, sur les côtés de la façade en verre du Lincoln Art Center, font écho au plafond de l’Opéra Garnier et tissent un lien entre ces deux temples du chant lyrique.
Le peintre russe a réussi à figer sur ces murs la poésie du quatrième art et à lui donner de nouveaux sens, tout comme les metteurs en scène, les musiciens et les chanteurs essaient d’insuffler une nouvelle vie aux opéras du répertoire.
Dans cette production de Tosca, créée en 2009, le metteur en scène Luc Bondy a choisi la voie de la provocation en utilisant des gestes explicites. Il montre du sang sur la porte de la chambre où Cavaradossi est torturé. Le dîner de Scarpia se transforme en une soirée de débauche, il embrasse la statue de la Vierge et meurt par coups de couteaux dans les parties génitales. Ces choix sont certes assez cohérents avec sa vision, mais semblent en contradiction avec les décors qui, eux, se veulent plus ouverts à l’interprétation et à l’imagination, comme le splendide Château Saint-Ange dans le troisième acte, presque esquissé qui laisse la place au ciel.
Le rôle des artistes sur scène est également contrasté : si d’un côté les voix étaient agréables, résonnantes et homogènes, l’intonation et la mise en place avec l’orchestre quasiment parfaites, l’interprétation est plutôt froide et apprêtée. Tosca revêt les traits d’une jeune femme un peu maladroite, quand nous attendons une Prima donna chatouillant les extrêmes de l’amour et la jalousie. Scarpia est vu comme un être glacial : son “Tosca, tu me fais oublier Dieu !” est chanté de façon quasi anecdotique, quand il s’agit en réalité du moment le plus fort du livret, qui révèle la vraie nature de ce personnage blasphématoire qui évolue dans une église au coeur des États pontificaux.
Le vrai triomphe de cette soirée était la musique de Puccini, sublimée par une distribution qui a su mettre en valeur sa poésie. Roberto Aronica est un Cavaradossi passionné et a interprété un “Recondita armonia” sincère et touchant, des duos frais et spontanés et un “E lucevan le stelle” intense et poignant. Oksana Dyka (Tosca) est une héroïne humaine et attendrissante, avec sa voix moelleuse, homogène et savamment dosée dans les jeux dynamiques. Roberto Frontali est un Scarpia tout à fait menaçant et imprévisible et Richard Bernstein (Angelotti) un fugitif agité et convaincant.
L’orchestre dirigé par Marco Armiliato, qui remplaçait ce soir là Placido Domingo, hospitalisé, a été un régal : discret ou passionné, il nous a accompagnés le long de ce drame vériste avec un son pur et précis et nous a offert d’émouvantes envolées de lyrisme.