Quatorze cordes. Sept qui jouent, sept qui écoutent. Écouter. Comme la voile écoute le vent et gonfle, les cordes de dessous écoutent le son et vibrent. La voile emmène le navire, les cordes inventent le son. Voile, viole, je ne m’étais jamais rendu compte que ces mots étaient si proches. Toutes deux à l’écoute.
Quand on arrive au Quartz en avance, on peut aller prendre un verre au Café des artistes. Ça c’est l’hiver, quand il fait nuit depuis longtemps. Mais avant que le changement d’heure ne nous prive durablement des couchers de soleil d’avant-concert, on peut en profiter pour aller faire une petite balade au port. Sur le quai Malbert, sur le quai de la Douane, quelques pas le long des vieux gréements invitent au voyage, l’imagination charge l’air de parfums d’épices, de balles de thé, de malles pleines d’instruments et de cartes. Les voiles sont carguées mais les narines les remplacent à l’écoute du vent qui traverse la rade. En remontant les escaliers des remparts vers la rue du Château, l’odorat cède doucement la place à l’ouïe, prête à écouter le son.
Garth Knox, grande silhouette dégingandée, un petit air de Clint Eastwood – et pas que l’air, une belle présence sur scène, aussi, il a du métier –, un pedigree d’altiste soliste et chambriste touche-à-tout qui a joué tous les répertoires et exploré toutes les ressources de son instrument, jusqu’à cette viole d’amour dans ce Duo Amore. Il avait ouvert le concert, avec sa comparse Agnès Vesterman, par la Music for a while, de Purcell. La viole chuinte. On entend une épaisseur qui ne vient pas du continuo chaud et douillet du violoncelle, il y a quelque chose comme un soufflet qui vient des cordes. Garth Knox frotte son archet et cela souffle. Comme il dit, parfois il essaie de jouer le moins possible, pour que la viole joue seule. Au fond des cordes, le vent.
Music for a while
Shall all your cares beguile
Voilà qui nous rassure.
Et pour bien nous montrer que les tourments sont oubliés, tiens, un brin de folie. Même le sombre Marin Marais a succombé à l’entraînante scie des Folies d’Espagne et le duo nous emmène dans le tourbillon jubilatoire d’infinies variations circulaires.
Un navire nous arrache des rivages confortables du siècle baroque. John Zorn (1953) fait entrer un ange exterminateur entre les portées d’Erik Satie, les cordes du dessus ne se doutent pas de l’incantation que vont lancer celles du dessous pour faire surgir l’ange. Agnès Vesterman nous emmène à la chasse aux papillons dans une pièce virtuose de Kaija Saariaho (1952) : votre serviteure, qui essaie à ses heures perdues de sortir quelques sons d’un violoncelle, en a encore mal aux mains rien que de l’avoir regardée jouer. Mais on a au moins appris qu’il y a des papillons en Finlande et qu’ils battent des ailes très très vite. Et comme Garth Knox ne veut pas être en reste, il nous apprend dans un de ses compositions que l’alto peut se jouer sans archet – avec 9 doigts, il faut quand même un pouce pour tenir le manche… – ou avec un seul doigt qui glisse – le tout est de choisir le bon – ou avec un archet qui n’en fait qu’à sa tête : up-down, sideways, round. Oui c’est possible… mais en fait, ce n’est peut-être pas un hasard si au bout de quatre siècles on a retenu une technique d’archet : le son est plus joli !
C’est sur un florilège de musiques traditionnelles irlandaises et écossaises que le Duo Amore a terminé cette balade à l’écoute des sons et du vent : Black is the color of my true love’s hair : la guitare de Joan Baez ou la viole d’amour de Garth Knox ? The answer, my friend, is blowing in the wind.
Duo Amore
Garth Knox (viole d’amour et alto) et Agnès Vesterman (violoncelle)
Le Quartz, Brest (Finistère)
10 octobre 2015
H. Purcell, M. Marais, J. Zorn, K. Saariaho, G. Knox, airs traditionnels.