Ce dimanche de juin, bien qu’un soleil radieux entrât à flot par les vitraux, ce n’était pas de la chaleur torride que protégeait l’église Saint-Pierre de Plougastel-Daoulas : une glaciale bise de nord-est soufflait depuis la veille sur la pointe Bretagne, soulevant des crêtes d’écume dans le petit port du Tinduff, et venait mourir contre les hauts murs gris-bleu en granit de Kersanton du majestueux édifice. À l’abri du vent, sous le portail ouest, une affiche annonçait le concert du jour. Contrejour.
Un florilège de madrigaux et de motets baroques et contemporains, s’éclairant les uns les autres en enjambant les siècles, lumineuse mise en perspective sonore que l’ensemble a cappella Voix Humaines nous offrait dans le vaste espace de la nef et du chœur. En entrée, une pièce d’Orlando Gibbons (1583-1625), organiste de la Chapelle Royale et de Westminster, jouée par le titulaire du lieu, nous permit d’ajuster nos oreilles à un tempérament baroque, contemporain du fameux Calvaire qui resplendissait dans l’enclos – il fut érigé en 1602 pour hâter la fin de l’épidémie de peste qui avait décimé la presqu’île.
C’est avec des pièces contemporaines que débutait le spectacle vocal. Spectacle, car les 24 chanteurs de l’ensemble investissent l’espace bien au-delà du chœur, parcourant la nef, se mêlant au public, dialoguant d’un bas-côté à l’autre, obéissant à une véritable scénographie, tour à tour deux chanteurs dos-à-dos ou en petits groupes se faisant écho. Voix Humaines a été créé en 2004, les chanteurs viennent de toute la Bretagne et sont dirigés par une trinité féminine, Cécile Girod, Laure Leyzour et Anne Bien, toutes trois chanteuses dans l’ensemble et enseignantes dans des Conservatoires de Bretagne. “De la diversité naît l’harmonie” peut-on lire en exergue du site mais c’est surtout une philosophie de correspondances et de passerelles qui en est le fil rouge artistique : dans le temps (en alternant des pièces baroques et contemporaines), dans le matériau (en jouant des couleurs sonores et des reliefs de l’espace), dans le style (en associant des improvisations et des pièces écrites), dans les thèmes (en mêlant poésie amoureuse et parole sacrée).



Dès les premières pièces, d’Eric Whitacre (1970-), Arvo Pärt (1935-) et Morten Lauridsen (1943-), l’univers sonore est ample, travaillé dans son relief, les tessitures se répondent et les mots prennent chacun leur place. On est frappé par la précision du son, on dirait que quelqu’un est à la balance, dans cette église pourtant un peu grande pour les 24 voix. Ce jeu de construction convient tout aussi bien aux pièces baroques de Monteverdi, Roland de Lassus (magnifiques Carmina chromatico) et l’on se surprend à ne presque pas sursauter à la transition avec Thomas Jennefelt (1954-) et son impressionnant Salut de la veille des O, tellement la correspondance est naturelle. On n’imagine quand même pas que l’Escargot tiré du Bestiaire de Noël de Thierry Machuel (1962-) pourrait avoir été composé à l’âge baroque mais on est bouleversé par tant d’expressivité : oui, c’est bien ça, l’ensemble qui déambule dans la nef et laisse une interminable trace sonore comme une longue longue traînée de bave.
Retour au madrigal, Monteverdi, Nils Lindberg (1933-), William Hawley (1950-), etc. jusqu’à ce que la dernière pièce, un motet d’Ola Gjeilo (1978-) O magnum mysterium (“Ô grand mystère et admirable sacrement, que des animaux voient leur Seigneur nouveau-né couché dans une mangeoire”), se distingue en ménageant une place à une jeune violoncelliste, Yelena Marie-Cousté, non comme accompagnement du chœur mais comme une voix supplémentaire, dont la couleur chaude s’ajoutait à la palette de l’ensemble, pour une fois relativement groupé autour d’elle.
Un magnifique travail musical, intelligent, inventif, portant un vrai message artistique : on sort grandi de cette expérience, fasciné que le chant a cappella recèle de telles possibilités d’expression quand on le regarde de face, en pleine lumière, en contre-jour.
Eglise Saint-Pierre de Plougastel-Daoulas (Finistère), 7 juin 2015
Contrejour