Dans le cadre du cycle Ravel, du Festival des Arts de Bordeaux et à l’occasion du 400e anniversaire de la mort de Cervantès, l’Opéra national de Bordeaux a proposé en ouverture de saison Les voyages de Don Quichotte, un conte musical en deux lieux et cinq tableaux. Entre la première partie qui s’est déroulée à l’Auditorium et la seconde, au Grand Théâtre, les spectateurs ont été invités à devenir acteurs de cette proposition en déambulant dans les rues de la ville lors d’une parade équestre et musicale, faisant des Voyages de Don Quichotte un spectacle vivant et fédérateur.
Marc Minkowski, le nouveau directeur de l’Opéra national de Bordeaux, a souhaité ces voyages comme une grande fête qui s’est ouverte à l’Auditorium par le premier tableau composé d’un extrait de l’Homme de la Mancha, La quête, signé Mitch Leigh et Joe Darion dont nous devons l’adaptation française des paroles et du livret au regretté Jacques Brel. La mezzo-soprano Anna Bonitatibus, accompagnée à la guitare par François Chappey, a su instauré une certaine communion avec les auditeurs. « Aimer jusqu’à la déchirure, Aimer même trop, même mal » chante-t-elle avant qu’Andrew Foster-Williams, dans la peau de Don Quichotte, ne vienne troubler ce doux instant. Sans y parvenir, il s’essaye à la direction d’orchestre puis arpente le public en quête d’un chef qu’il finit par dénicher.
C’est ainsi que Paul Daniel arrive et lance les musiciens dans Don Quichotte à la dulcinée, une œuvre de Maurice Ravel. Trois chansons d’un univers différent se succèdent : romanesque, épique ou à boire. Alexandre Duhamel, fidèle Sancho, déambule au milieu de l’orchestre national de Bordeaux pour un moment festif à l’instant de clore le premier tableau avant de céder la place aux variations fantastiques sur un thème de caractère chevaleresque, signées Richard Strauss. Quel bonheur d’entendre ce compositeur avec tant de légèreté ! C’est fort appréciable car sa musique est souvent jouée de manière lourde et pesante mais Paul Daniel a su dirigé avec allégresse et finesse les musiciens tandis que derrière eux défilait un paysage bucolique composé de grandes étendues de champs en tout genre. Les éoliennes ont remplacé les moulins à vent et tandis que les titres nous orientent sur le déroulement des variations, le soleil décline lentement sur la campagne désertée. La délicatesse semble être le maître mot de cette première partie avec de très belles envolées lyriques dans le ciel des aventures chevaleresques de Don Quichotte.



Les paysages sereins continuent de défiler alors que l’orchestre prend de l’épaisseur et de la profondeur jusqu’à faire preuve de pugnacité dans l’attaque des notes afin de mettre en musique le combat que livre le héros contre le Chevalier de la Blanche Lune. C’est à ce moment que Don Quichotte décide de renoncer à la chevalerie errante, de devenir berger et de rentrer chez lui. La tension dramatique est palpable tandis que les musiciens accentuent l’émotion avec un jeu rythmé et presque énervé, accompagnant avec brio la grande virtuosité des deux solistes, Alexis Descharmes au violoncelle et Nicolas Mouret à l’alto. Le deuxième tableau et la première partie s’achèvent sur la mort de Don Quichotte durant laquelle les violons se font languissants, presque larmoyants.
Après un parcours équestre et musical sous forme de déambulation entre l’Auditorium et le Grand théâtre, nous avons pris place pour la seconde partie. Andrew Foster-Williams et Alexandre Duhamel sondent les rangs à la lampe torche. C’est maintenant Pierre Dumoussaud qui dirige les musiciens avec dynamisme et fermeté alors que la voix époustouflante et céleste de l’enfant résonne dans la salle. Assis sur une balançoire, il se promène dans les airs et souligne la beauté et la poésie des Tréteaux de Maître Pierre de Manuel de Falla. La projection d’images se fond avec ce qui se déroule sur le plateau mais déjà s’amorce le dernier tableau, composé de l’acte I, IV et V de la comédie héroïque Don Quichotte de Jules Massenet dirigé par Marc Minkowski lui-même, qui met en valeur tous les contrastes et les nuances de l’oeuvre.
Dans une mise en scène très festive, avec une scénographie composée de gradins et de miroirs au plafond, les musiciens qui ont réinvesti la fosse nous interprètent une scène de bal. Les guirlandes lumineuses faites avec trois fois rien, éclairent une danseuse pleine de grâce et de charme. Mais « lorsque le temps d’amour a fui, qui peut croire au bonheur ? ». Alors, avec la tristesse des fins de soirées, la magie s’éteint peu à peu, tout comme le souffle de vie quitte le corps de Don Quichotte. Sancho, toujours bienveillant, soutien infaillible, livre une prière particulièrement poignante, souhaitant à son maître un lieu « où tout ce qu’il rêve devienne réalité ». La scène finale nous arrachera même une furtive larme, de même que la dernière note d’un orchestre grandiose.
Bien que le livret soit un peu faible, la sélection nous a permis de faire un agréable voyage aux côtés de Don Quichotte. Cet OLSNI, Objet Lyrique et Symphonique Non identifié, a su ravir le public qui a réservé un accueil chaleureux à l’Opéra de Bordeaux.