L’opéra national des Pays-Bas propose actuellement un double programme : Eine florentinische Tragödie (Une tragédie florentine) d’Alexander von Zemlinsky et Gianni Schicchi de Giacomo Puccini
En 2012 au Festival Puccini Plus, l’opéra de Lyon associait la tragédie florentine de Zemlinsky à la comédie florentine de Giacomo Puccini, l’opéra d’Amsterdam reprend cette idée en confiant la mise en scène à Jan Philipp Gloger.
Un double programme florentin
L’idée d’associer les deux oeuvres est intéressante : les intrigues ont lieu à Florence, elles ont été composées à la même période (1916 et 1917-18) et les deux parlent de l’avidité des bourgeois enrichis.
Les deux s’inspirent de la littérature : d’une part la pièce d’Oscar Wilde (que Puccini avait également pris en considération), de l’autre un personnage historique (Gianni Schicchi de Cavalcanti) cité dans l’enfer de Dante (“Ce follet est Gianni Schicchi, qui, dans sa rage, va ainsi accoutrant les autres”) condamné pour falsification de personne, ayant pris la place de Buoso Donati afin de modifier son testament en faveur de son neveu.
Un rêve sombre et angoissant
L’orchestre attaque l’ouverture de Eine florentinische Tragödie, les lumières nous font découvrir un plateau flottant de travers, imaginé par Raimund Voigt.
Guido et Bianca sont sur scène en sous-vêtements, ils jouent, se poursuivent, s’embrassent, se déshabillent et font l’amour passionnément, pendant que le plateau de 18 mètres se met à tourner.
Pendant un de ces tours, un homme monte à bord : c’est Simone, le mari de Bianca, de retour du marché. Il surprend les amants qui se rhabillent, mais fait comme si de rien n’était.
Une fois découverte la noble identité de l’homme, il en profite pour lui vendre des vêtements, ce que Guido accepte en offrant de les payer très chers.
Glover choisit de ne pas représenter Simone comme un homme d’âge avancé, ni comme un avide irréductible, mais plutôt comme quelqu’un se donnant corps et âme à son travail, dont la veine poétique ressort en présentant sa marchandise.
Un plateau expressif et convaincant
John Lundgren incarne parfaitement cet homme fort et viril, grâce notamment à sa voix sombre et puissante de baryton dramatique. Nikolai Schukoff s’impose pour la souplesse de sa belle voix de ténor et par son interprétation réussie d’un Guido Bardi vaniteux et gâté, pour lequel Bianca n’est qu’une de ses nombreuses conquêtes.
Au milieu des deux hommes se trouve Bianca, délaissée par son mari et leurrée par le Prince de Florence. Ausrine Stundyte incarne cette femme aigrie et tourmentée à laquelle sa voix sombre et son jeu investi rajoutent une grande intensité dramatique.
La musique expressionniste de Zemlinsky est sublimée par les ombres tranchantes qui plongent la scène dans un univers en noir et blanc, qui nous fait douter de la réalité.
Est-ce que Simone et Bianca, qui regarde son amant se faire étrangler sans rien dire, avaient tout planifié ? Ou est-ce que Simone fait semblant de pardonner sa femme et finit par la tuer ?
Nouveaux riches et larmes de crocodile
Un nouveau conflit nous attend dans le deuxième épisode florentin proposé par l’opéra d’Amsterdam, mais cette fois dans un esprit plutôt ironique et léger.
Le vieux Buoso Donati est dans son lit de mort, vêtu de l’élégante robe de chambre que Simone voulait vendre à Guido dans l’opéra de Zemlinsky. Un autre détail met en relation les deux opéras : sur les portes de la chambre de Buoso, se trouvent deux inscriptions en italien : “Son âme se tient toujours sur la place du marché” et “Son cœur bat uniquement au prix de la laine” tirés du texte d’Oscar Wilde.
Un groupe improbable de personnes occupe la pièce : Zita, matrone du clan des Donati en tailleur Chanel, intérprétée par une énergique et prête à tout Enkelejda Shkosa, et Simone, incarné par un Carlo Cigni amusant et convaincant.
Parmi les autres proches on retrouve le convaincant couple composé par Marco (Mikheil Kiria) et La Ciesca (Ana Ibarra) nouveaux riches coincés, lui, en tenue de chasse et elle d’équitation, puis le beau-frère pauvre de Bouso, Betto di Signa (un Umberto Chiummo réussi, morne et mal habillé).
Suivent le vulgaire Gherardo (bien rendu par un Saverio Fiore en style “Les bronzés”, la veste ouverte sur une chemise rose), sa femme trophée Nella (une Adriana Ferfecka parfaitement dans le rôle, avec sa une mini-robe, ses talons vertigineux et son sac à la mode) et leur fils Gherardino (Claudio García Dueñaz), enfant gâté négligé par ses parents, hypnotisé par son téléphone portable.



Une famille formidable
La famille attend avec impatience la mort du vieil homme afin de mettre les mains sur son riche héritage. Quand cela a enfin lieu, ils font tous semblant de pleurer, en sortant des clichés et feignent de se soutenir l’un l’autre dans la douleur. Seul le petit Gherardino les rappelle à la réalité, avec son téléphone portable qui sonne et distrait la famille de son “chagrin”.
Mais le testament de Buoso porte une mauvaise nouvelle : le vieil homme a tout légué aux religieux. La famille se désespère, et cette fois les larmes sont vraies : “Qui aurait jamais dit que quand Buoso serait allé au cimetière, on aurait pleuré pour de vrai !” dit Zita.
Le jeune Rinuccio prend les choses en main et suggère de faire appel à la ruse de Gianni Schicchi pour résoudre la question de l’héritage. Dans son Firenze è come un albero fiorito Alessandro Scotto di Luzio montre sa voix robuste et brillante de ténor et ses talents d’acteur.
Gianni Schicchi, le marionnettiste
Habillé en beauf, une chemise à carreaux ouverte sur le t-shirt de l’album Master of puppets de Metallica (comme par hasard !), Gianni Schicchi fait son entrée sur scène, accompagné par sa fille Lauretta, dont Rinuccio est amoureux.
Se faisant malmener par la famille bourgeoise qui le méprise (les Donati se couvrent le nez et protègent le fauteuil où il s’assoit avec un foulard), il est prêt à s’en aller, mais sa fille le convainc à rester, avec le célèbre air Oh, mio babbino caro.
Mariangela Sicilia interprète ce “tube” en toute cohérence avec le récit, et en lui ajoutant une petite veine comique, en faisant semblant de se jeter dans l’Arno peint sur un tableau derrière elle. Sa voix est propre et très agréable et son jeu honnête et pertinent.



Avec assurance et sang-froid Gianni Schicchi prend la situation en main et propose de prendre la place du vieux Buoso et de dicter un nouveau testament, plus favorable à la famille. Suit une scène hilarante où tous les personnages essayent de séduire Schicchi pour se faire laisser la meilleur part de l’héritage, les trois femmes, y compris la septuagénaire Zita, se jettent sur le lit, se déshabillent et lui font des avances, éperonnées par les hommes.
Schicchi, interprété à la perfection par un Massimo Cavalletti charismatique et ambigu, nous fascinant par sa voix large et vigoureuse, arrive à se jouer du médecin Maestro Spinelloccio (par un amusant et complètement à l’ouest Matteo Peirone), du notaire Ser Amantio di Nicolao (incarné par le très crédible Tomeu Bibiloni à la voix limpide) et de toute la famille Donati, destinant les meilleurs biens du défunt “à son ami dévoué… Gianni Schicchi” !