Pour les trois saisons à venir (2017 à 2020), l’ensemble Orfeo 55 établit sa résidence à l’Opéra-Orchestre national Montpellier-Occitanie. Pour son premier concert « en résidence », l’ensemble conduit par la contralto Nathalie Stutzmann, nous offre une série d’Arie antiche, petit catalogue d’airs italiens des XVIIe et XVIIIe siècles, rassemblés et arrangés par le chef et compositeur Alessandro Parisotti (1835-1913), ainsi que quelques pièces orchestrales de la même période.
Début du concert, les lumières à peine éteintes — l’orchestre est déjà installé — un luthiste sort de la coulisse tout en commençant à jouer. Il est suivi par Nathalie Stutzmann qui, elle aussi, commence à chanter avant même d’avoir rejoint le centre de la scène. Belle manifestation de l’humilité de l’artiste, qui renonce ainsi aux applaudissements qui auraient immanquablement salué son entrée. Au lieu de cela, elle « se glisse » dans la musique avec simplicité et modestie. Et dieu sait que les moyens vocaux de Nathalie Stutzmann sont loin d’être modestes.
Dire que la voix de Nathalie Stutzmann est hors norme n’est certes pas un scoop, mais cette voix ne lasse jamais de fasciner. On est d’abord séduit par ce timbre délicieusement androgyne. Puis on est constamment saisi par un volume ahurissant, par la longueur de souffle de l’interprète et par l’incroyable étendue de cette voix du grave vers l’aigu. Rarement une messa di voce n’a donné à ce point la sensation d’un son qui « enfle » jusqu’à en ressentir littéralement la vibration physique.
Dans le programme de ce concert, les airs s’enchaînent, presque sans interruption, mais ne donnent jamais le sentiment qu’on enfile bêtement des perles. Les transitions sont fluides et pourtant, chaque petite miniature est joliment caractérisée et individualisée. La grande variété de colorations est notamment permise par la présence d’un continuo particulièrement riche (un clavecin, un orgue, un basson, un violoncelle, une contrebasse et un luth).
En fait, chaque pièce de ce programme mériterait qu’on s’y arrête. Néanmoins, il serait bien fastidieux de tout énumérer et de tout décortiquer. On retient donc par exemple cet Intorno al idol mio de Cesti, et son accompagnement délicat et dépouillé à la harpe et au violon, un Cor mio che prigion sei, extrait de L’Atenaïde de Vivaldi, superbement porté par les pizzicati de l’orchestre, cet autre extrait d’Andromeda Liberata, lente et bouleversante déploration avec violon obligé… Certaines pièces étonnent cependant. A priori, seul le cadre d’un récital permet d’inclure un air d’Alcina (Ah mio cor) et de Cléopâtre (Piangerò la sorte mia) dans un programme de contralto (mais il faut sûrement sacrifier à la nécessité d’inclure des « tubes » du répertoire). Certes, Alcina y gagne une noirceur que peu de sopranos peuvent montrer, mais derrière la terrible magicienne, on peine à ressentir la douleur de la femme abandonnée. On se permettra de trouver ces deux pièces moins immédiatement réjouissantes que le reste du programme, peut-être plus attendues, sûrement trop retenues et uniformes. On rend les armes en revanche devant ce Se tu m’ami (classiquement attribué à Pergolesi) tellement riche en contrastes et offrant en un temps record une multitude de micro-ambiances.
On l’a dit, Nathalie Stutzmann ne cesse d’impressionner durant ce concert. Mais l’insolence technique est toujours au service du verbe et de la musicalité. Ce n’est pas à une démonstration de virtuosité qu’on assiste, mais bien à une leçon d’interprétation et de musique. L’artiste qui tourne et retourne son pupitre selon qu’elle chante ou qu’elle dirige, fait corps avec son ensemble et respire avec lui. Le plaisir des musiciens est manifeste et communicatif.
L’orchestre n’a pas été exempt de certaines faussetés et quelques dynamiques sont parfois un peu sur-appuyées (comme dans le Concerto de Vivaldi RV156 légèrement plombé au sol). Mais Orfeo 55 possède en ses rangs d’excellents musiciens, particulièrement bien mis en valeur dans les pièces chambristes.
C’est la très belle cantate de Conti qui donne son titre à ce concert : Quella fiamma. Et ce titre prend de plus en plus de sens au cours de la soirée, trouvant son apothéose dans les dernières pièces du récital, dont cette tourbillonnante Sinfonia de Haendel et cette Passacaille de Falconieri presque jazzy. À la fin de la Danza de Durante, le public manifeste enfin son enthousiasme chaleureux. Quelle flamme en effet ! Du parterre on entend résonner un « Merci Nathalie ! » que le reste de la salle semble approuver.
Notons qu’à l’issue du concert, une rencontre était organisée entre le public, Nathalie Stutzmann, ses musiciens de l’Orfeo 55 et Valérie Chevalier, directrice générale de l’Opéra-Orchestre national Montpellier-Occitanie. Cet échange a été l’occasion d’aborder les habituelles considérations technico-baroques (tempérament, diapason, accords, construction d’une basse continue…), ce qui a permis de donner la parole aux instrumentistes, fait suffisamment rare pour être applaudi.
Nathalie Stutzmann y a également évoqué, avec une remarquable humilité, son parcours, ses débuts comme élève-instrumentiste (basson, violoncelle, alto, piano), sa carrière de chanteuse et son désir, survenu très tôt, de devenir chef d’orchestre, ses premières difficultés à s’imposer en tant que femme-chef, son apprentissage auprès de Simon Rattle et Seiji Ozawa…
Qu’il nous soit permis de nous exclamer nous aussi « Merci Nathalie ! »