Les dernières journées du Festival 2022 étaient notamment consacrées à deux chefs-d’œuvre de l’opéra : La Flûte Enchantée de Mozart, et l’un des opéras de Berlioz, hélas peu joué en France, Béatrice et Bénédict, conte délicieux…
Le Festival Berlioz a clairement affiché ses ambitions: « Des Milliers de Sublimités ». Par ailleurs, il a été contraint – guerre en Ukraine oblige – de modifier son programme. En effet, il devait être question des voyages d’Hector Berlioz, et notamment de ceux que le compositeur avait effectués en Russie…thème qui a, cependant, été maintenu pour la très belle exposition temporaire présentée au Musée Berlioz, situé dans la maison natale du compositeur, à la Côte Saint-André (Isère).
L’opéra de Mozart était précédé dans l’après-midi en l’Eglise de la Côte-Saint-André – comme c’est le cas désormais chaque année – d’un récital de piano donné par le pianiste suisse Fabrizio Chiovetta. Au programme diverses compositions de Mozart pour l’instrument datant de la période 1774/ 1789. Sous l’apparence d’une désinvolture feinte, nous avons eu droit à une interprétation particulièrement maîtrisée et métronomiquement infaillible, mais n’échappant malheureusement pas à une certaine monotonie que divers passages très contrastés ne parviendront pas à endiguer.



Surprise de découvrir dans la programmation un opéra de Mozart dont on sait qu’il n’était pas l’un des compositeurs favoris d’Hector Berlioz, mais l’idée était intéressante.
Sous la direction inspirée de Christophe Rousset, les Talens Lyriques nous ont livré une « Flûte » tonique et claire, accompagnant un plateau de solistes inégal, mais animé de bonnes intentions.
Ce qui a manqué, c’est sans doute un brin d’onctuosité dans l’interprétation musicale, parfois un peu sèche, privée de la tendresse attendue dans ce génial « Singspiel ».
Sandrine Piau, convaincante Pamina
Côté solistes, Sandrine Piau incarne sans surprise une belle Pamina, sans éviter parfois cependant quelques aigus un peu ternes. Elle est cependant scéniquement très présente. En revanche, on ne peut hélas, en dire autant de son partenaire Jeremy Ovenden dans un Tamino plutôt pâle vocalement et dramatiquement. Les Trois Dames assurent convenablement leurs rôles, la plus belle réussite de la distribution étant sans conteste la basse Alexander Köpeczi dans un Sararastro au timbre impressionnant, et à qui la mise en espace a donné – à juste titre – une place centrale.



Que dire du Papageno du baryton Christoph Filler ?…. Il multiplie les facéties d’une manière un peu lourde et empruntée, surtout au premier acte. Au second acte, il prend une plus grande assurance, aidé notamment en cela par les épisodes comiques que rencontre son personnage, situations qu’il assure dès lors avec humour. Enfin, on a connu beaucoup mieux que la Reine de la Nuit interprétée plutôt laborieusement par Rocio Pérez. On a beaucoup apprécié le coup de théâtre final et l’apparition de Papagena, en regrettant qu’elle ait été associée à quelques minauderies vulgaires. Les Trois enfants ( membres des « Wiener Sängerknaben ») sont bien présents scéniquement et vocalement et remplissent bien leur rôle de commentateurs de l’intrigue.
L’Ensemble vocal de Lausanne est constamment présent et juste vocalement et ponctue magnifiquement ( le « Chœur des Prêtres » au 2ème acte !) cette – presque – cantate maçonnique.



La très bonne surprise de ce spectacle vient aussi de la mise en espace et de la vidéo de Benoît Bénichou. L’idée de la forêt immersive que le spectateur découvre à son entrée dans le théâtre est excellente. Une immense photo/vidéo panoramique encercle totalement le plateau, représentant une forêt en noir et blanc. Elle est peu à peu colorée et, de temps à autre, au gré de l’intrigue, s’enrichit d’animaux animés.
Une mise en espace réussie
La mise en espace qui a entraîné la division physique de l’orchestre utilise avec bonheur les espaces ainsi dégagés, mais toujours au contact de l’orchestre et du chef. Ces espaces permettent une circulation scénique des plus intéressantes et sont dramatiquement très réussis : pour un peu, on en oublierait que ce n’est pas une représentation scénique de la Flûte enchantée ! Mise en espace qui privilégie le côté initiatique et les rites qui les accompagnent, soulignant ainsi le côté « cantate maçonnique »de l’oeuvre ; au détriment peut-être des rapports, notamment amoureux, des différents protagonistes de ce « Singspiel ».
La représentation d’un opéra de Berlioz est toujours un événement, surtout quand elle a lieu dans sa ville natale et dans le cadre du Festival qui lui est dédié et qui porte son nom.
Disons-le, c’est par une déception que s’est terminée l’édition 2022, tant était attendu ce Béatrice et Bénédict qui n’est pas fréquemment donné, en tous cas en France.
Béatrice et Bénédict est donc cet opéra-comique en deux actes sur un livret du compositeur d’après la pièce de William Shakespeare Beaucoup de bruit pour rien. Cet ouvrage n’est rien de moins que le dernier opéra de Berlioz (créé à Baden Baden en 1862) dont on connait la passion pour le poète anglais. Il conte les amours de Béatrice et de Bénédict dans une Sicile imaginaire.



Qui dit opéra-comique dit dialogues parlés qui, d’ailleurs, dans la partition de Berlioz, sont parfois transposés directement de la pièce de Shakespeare. Hélas, ceux-ci ont pour l’essentiel disparu de la version de l’oeuvre telle qu’elle nous a été présentée. Il s’ensuit un déséquilibre entre dialogues et musique que ne compensent pas – loin s’en faut- les interventions parlées d’un narrateur, en la personne du comédien Eric Génovèse, qui ne semble pas complètement à son aise dans ce rôle qui paraît plus ou moins improvisé.
L’absence de dialogues – qui à l’inverse, ont été dûment respectés pour la représentation de l’opéra de Mozart – nuit à la compréhension des situations, et notamment ne permet pas de comprendre le retournement amoureux de Bénédict et l’évolution des sentiments de chacun, « entre moqueries et indifférences feintes » ( cf. Kobbé).
Toby Spence déçoit
Déception aussi du côté de la distribution, en particulier de la prestation du ténor Toby Spence – inexistant vocalement et dramatiquement dans le rôle de Bénédict. A-t-il rencontré un problème vocal qui aurait mérité d’être signalé ? La soprano Sasha Cooke n’a-t-elle pas fait annoncer qu’elle était souffrante ?…Elle a malgré cela très bien tenu son rôle, en dépit de quelques faiblesses excusables, surtout au début de l’oeuvre, puis a retrouvé une belle assurance vocale.



La soprano Vannina Santoni, dans le personnage d’Hero, a su imposer une belle présence à son personnage et a fait merveille dans le sublime duo de la fin de l’acte 1 qu’elle interprète face à Ursula, superbement incarnée par la mezzo-soprano Beth Taylor.
Du côté des hommes, qu’il s’agisse du baryton Jérôme Boutillier dans Claudio, du baryton-basse Paul Gay dans Don Pedro ou, enfin, de la basse Julien Véronèse dans le rôle de Somarone, tous, moins sollicités que les femmes, ont su tirer leur épingle du jeu.



Le Chœur Spirito et le Jeune Chœur Symphonique ont été très présents tout au long de l’oeuvre, très réactifs aux demandes du chef.
La direction musicale était assurée par le chef John Nelson, à la tête d’un très bel orchestre, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg qui a fait merveille tout au long de l’oeuvre, bien qu’il ait joué parfois un peu fort.
L’ouvrage avait, cependant, été introduit magistralement par l’ouverture de feu, interprétation qui contenait toute l’urgence que Berlioz lui a conférée.



Cette soirée lyrique avait été précédée d’un après-midi de musique de chambre (toujours à l’Eglise de la Côte-Saint-André) consacré à Beethoven, et ce grâce à l’excellentissime trio composé du pianiste Philippe Cassard, du violoniste David Grimal et de la violoncelliste Anne Gastinel.