Comme les précédentes, l’édition 2022 a réservé son lot de belles rencontres musicales, programmées par son ancien directeur, Julien Caron.
Le Festival de la Chaise-Dieu – qui a eu lieu du 18 au 28 août 2022 – a connu une petite révolution. En effet, Julien Caron qui présidait à ses destinées depuis de nombreuses années, a décidé de voguer sur d’autres mers … C’est désormais Boris Blanco qui aura désormais entre ses mains la responsabilité de ce festival mythique et parmi les plus anciens de France. Quant à la programmation du futur festival 2023, on y verra plus clair l’année prochaine sur la stratégie et les choix du nouveau directeur.
La particularité de ce festival est d’être généraliste, sans que ce qualificatif soit péjoratif, de quelque manière que ce soit, bien au contraire. En effet, les festivaliers se voient offrir 3 concerts par jour, la plupart du temps en des lieux proches les uns des autres. Ce qui leur permet d’assister à un concert de musique symphonique puis, une heure plus tard, à un concert de musique ancienne… Ces rendez-vous se donnent principalement à l’Abbatiale Saint-Robert et, non loin de là, dans l’Auditorium Cziffra ; même s’il peut arriver que certains d’entre eux se donnent en région, comme par exemple à Brioude, Ambert ou Le Puy-en-Velay.
Nous avons choisi de souligner les moments forts des deux derniers jours de la 56ème édition de ce festival.
Prélude, Fugue et Variation
L’honneur revenait à l’Orchestre des Pays de Savoie d’inaugurer cette avant-dernière journée par une pièce de César Franck particulièrement célèbre – commémoration oblige, César Franck étant né précisément il y a deux siècles – puisqu’il s’agit du Prélude, Fugue et Variation composé pour le piano, mais ici arrangée pour orchestre par le nouveau directeur musical de l’orchestre lui-même, le néerlandais Pieter-Jelle de Boer, dont on retiendra la direction peu spectaculaire mais précise et attentive.



Après la pause, le concert se concluait par l’exécution d’une des plus fameuses symphonies de Mozart, la N°36 en ut majeur, également dénommée “Linz”, ainsi qu’un air extrait de l’opéra La Clémence de Titus interprété avec sensibilité par la mezzo-soprano Marion Lebègue. Elle choisira de donner en bis le célébrissime Voi che sapete, le fameux air de “Cherubin” extrait des Noces de Figaro.
Thomas Lacôte et les poèmes de Jean-Louis Chrétien
Auparavant, Marion Lebègue avait créé, toujours accompagnée par l’Orchestre des Pays de Savoie, Plus rien que ton nom, cycle de mélodies de Thomas Lacôte. Ce jeune compositeur, par ailleurs titulaire des orgues de l’église de la Sainte-Trinité à Paris, a mis ici en musique des poèmes de Jean-Louis Chrétien, aujourd’hui disparu. Nous avons découvert une oeuvre d’une grande force poétique qu’il serait passionnant de réentendre et qui, pour ce faire, mériterait d’être rapidement programmée et enregistrée. Pour avoir une idée de l’ambition musicale qui anime Thomas Lacôte à propos de cette oeuvre, on se reportera à ce qu’il déclarait récemment concernant ses sources d’inspiration: “S’il fallait trouver une référence à “Plus rien que ton nom”, ce serait peut-être du côté des “Trois Chansons de Bilitis” (de Claude Debussy, ndlr) qu’il faudrait regarder”.



Le concert de l’après-midi donné dans le merveilleux Auditorium Cziffra, à deux pas de l’Abbatiale, a été sans conteste le moment le plus fort de cette avant-dernière journée du festival.
Grâce tout d’abord à Robert Schumann, grâce aussi à ses interprètes, la soprano Marion Grange et le pianiste-compositeur Michaël Levinas.
Les Frauenliebe und Leben, autrement dit L’amour et la vie d’une femme (opus 42) de Robert Schumann constituent, on le sait, un des sommets de la musique des Lieder : ils le sont d’autant plus quand il sont interprétés tels qu’ils le furent – équilibre et fusion miraculeux entre la chanteuse et le pianiste.
Quand de telles œuvres sont ainsi restituées, on se dit que Robert Schumann a ici écrit une musique qui interroge puissamment le sens de la vie : rarement les silences qui ont entouré cette interprétation auront été aussi denses émotionnellement…



Après ce moment de plénitude, le concert se poursuivait avec l’oeuvre de Michaël Levinas, interprétée par son auteur et la soprano Marion Grange: Espenbaum, cycle de huit lieder composés sur des poèmes de Paul Celan, pour voix, harpe et piano (commande conjointe du Lieu de mémoire de Chambon-sur-Lignon et du Festival de la Chaise-Dieu).
La harpiste Anaïs Gaudemard étant souffrante, c’est donc sans l’instrument (prévu dans la partition initiale) qu’a été donné cette oeuvre âpre, traversée de plaintes et de cris qui évoquent la Shoah: “La langue de Celan pleure toujours dit Michaël Levinas, elle crie, elle tremble…(…) écrire une musique après Auschwitz, c’est composer une musique qui tremble”. La soprano Marion Grange y a été, là aussi, admirable d’intériorité.
C’est cette version sans harpe qui demeurera la version définitive…aux dires mêmes du compositeur.
A ce concert – où l’émotion a affleuré à tous moments – il fallait une fin que la soprano Marion Grange a conclu par une interprétation radieuse de “Die zwei blauen Augen von meinem Schatz”, lied extrait des “Fahrenden Gesellen” (“les Chants du compagnon errant”) de Gustav Mahler.
Otto Tausk séduit avec Pelléas et Mélisande
Du concert du soir à l’Abbatiale, on retiendra surtout les deux très belles (bien que très différentes mais traitant du même sujet) Suites de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy et de Gabriel Fauré, données par l’Orchestre National de Belgique sous la direction d’Otto Tausk qui a fait valoir la beauté et la légèreté des thèmes de Gabriel Fauré et la transparence soyeuse des pièces de Debussy.
On y donnait aussi le Poème Symphonique Les Djinns de César Franck pour piano et orchestre ; le jeune pianiste Florian Noack, au jeu un peu mécanique, y a rencontré un fier succès. Suivait la fameuse Symphonie en ré de Franck, donnée ici toute en tension, le chef imposant des tempi très rapides, restituant une musique vive, parfois presque trop véhémente. En tout cas une interprétation inhabituelle – originale – qui permet d’entrevoir d’autres aspects de cette oeuvre omniprésente au répertoire, et notamment sa puissance et son éloquence qui font parfois défaut aux interprétations académiques de cette oeuvre.



Pour la dernière journée du Festival, l’Orchestre National de Belgique inaugurait son deuxième concert du Festival par un concert Ravel/Franck.
C’est la Suite Ma Mère l’Oye de Maurice Ravel qui a été choisie pour débuter cet après-midi symphonique. Cette pièce nous est parvenue un peu comme l’antidote de la Symphonie en ré de Franck, jouée la veille. Otto Tausk a choisi pour cette pièce une lecture presque tranquille et comme apaisée, un peu comme le calme après la tempête, sans cependant en omettre les couleurs fraîches et presque enfantines.
Les Variations symphoniques de Franck qui suivaient nous ont paru, en contraste, presque ordinaires et d’un intérêt tout relatif, à l’exception de sa partie centrale où cours de laquelle le piano soliste et les cordes se fondent en une sorte de plage sonore, étonnant et singulier moment de musique. Le pianiste Florian Noack beaucoup plus à l’aise dans cette partition que dans celle des Djinns, interprétait en bis une danse du compositeur arménien Komitas.
La puissance musicale du Chasseur Maudit
Après la pause le moment fort est venu avec une réelle et étonnante découverte : l’interprétation de deux poèmes symphoniques de César Franck, Le Chasseur Maudit et Les Eolides. Si cette dernière partition est surtout décorative, on reste stupéfait de la puissance musicale du Chasseur Maudit, pièce dont on ne comprend pas qu’elle soit si peu jouée, tant on retient son souffle de la première jusqu’à la dernière note. Pièce toute en fureur, on pense souvent au Freischütz, l’opéra de Weber, mais à un Freischütz qui aurait bénéficié de tout l’arsenal sonore de la fin du 19ème siècle.
Ce ne sont que tumultes, sonneries de chasse, chevauchées infernales et mystérieuses, mais aussi, puissante et poétique malédiction. Cette pièce a tout pour figurer dans un concert symphonique, mais il est vrai qu’elle requiert un effectif orchestral très fourni, surtout du côté des cuivres !
Ce concert se terminait par un Boléro de Ravel, naturellement ébouriffant.



Place ensuite à la musique française avec l’excellent ensemble Le Consort dirigé de main de maître, et du clavecin, par Justin Taylor.
L’intérêt premier de ce concert consacré aux Cantates françaises a été de faire découvrir des ouvrages de compositeurs totalement méconnus, mais méritant incontestablement de passer à la postérité. Parmi les plus connus, figuraient Clérambault, Louis-Joseph Francoeur et Dandrieu…
D’un intérêt inégal, ce concert a eu le grand mérite de nous plonger dans le climat raffiné de la musique française de la première moitié du XVIIIe siècle, servie par des musiciens d’exception, notamment les deux violonistes Théotime Langlois de Swarte et Sophie de Bardonnèche.
Cette musique pour un très petit groupe d’instruments et, tout au plus, un ou deux soliste vocaux, est une spécificité française qui a enchanté salons et demeures.
On est heureux de retrouver le baryton Edwin Fardini qu’on ne connaissait pas dans ce répertoire ; il nous est apparu très à l’aise dans la musique baroque française, et nous a surpris par la qualité de son chant et de sa diction. On est en revanche déçu par la soprano Gwendoline Blondeel dont le chant a souvent manqué de caractère et parfois de justesse.
Cette 56ème édition du Festival de la Chaise-Dieu prenait fin avec un concert en forme de restitution d’un événement célébrant à Rome un moment particulièrement funeste de l’histoire de France, la Révocation de l’Edit de Nantes, le 18 octobre 1685.
On apprend ainsi, grâce aux travaux du chef et violoniste Emmanuel Resche-Caserta qu’ont été organisées à Rome, le 12 mai 1686, des festivités destinées à célébrer cette victoire contre l”hérésie huguenote”….
C’est autour du compositeur Arcangelo Corelli qu’aurait été conçu et donné ce concert, associant d’autres compositeurs tels Alessandro Melani et Giovanni Lorenzo Lulier pour un “Trionfo Romano”.
Un résultat incertain
Si l’intention est louable, le résultat est en revanche plus incertain. On découvre qu’à cette occasion, c’est un ensemble très important de cordes qui avait été requis. Ici, près de 20 violons , 4 altos, 6 violoncelles, puis… un continuo composé de 2 violons solistes dont le chef, 1 orgue positif, 2 clavecins, 2 théorbes, 1 viole de gambe et 2 contrebasses. Sans oublier 3 trompettes et 1 basson ; on aura ainsi une idée de la masse sonore….
Pourquoi pas ? Mais si l’idée est intéressante musicologiquement, elle est décevante musicalement. Cette juxtaposition de sonates et de concerti pour violons – d’un climat et d’un style très proches – engendrent assez rapidement un réelle monotonie, et, pour tout dire, un certain ennui ; nonobstant la belle – mais, hélas, trop courte – intervention de la soprano Emmanuelle de Negri, au chant souple et ample.
Nous avons hâte de découvrir la programmation de l’année 2023.
FESTIVAL DE LA CHAISE-DIEU 2022
Samedi 27 août 2022
“PLUS RIEN QUE TON NOM” Abbatiale Saint Robert, 14h
César Franck “Prélude, Fugue et Variations
Thomas Lacôte “Plus rien que ton nom”
W.A. Mozart “La Clémence de Titus” (extrait)
Symphonie No. 36 “Linz” K 425
Marion Lebègue, mezzo-soprano
Orchestre des Pays de Savoie
Peter-Jelle de Boer, Direction
“PASSION (S)”, Auditorium Cziffra 16h30
Robert Schumann: “Frauenliebe und Leben”
Michael Lévinas “Espenbaum” Lieder, sur des poèmes de Paul Celan
Marion Grange, soprano
Michael Lévinas, piano
SYMPHONIE DE FRANCK, Abbatiale Saint Robert 21h
Claude Debussy “Suite de Pelléas et Mélisande”
Gabriel Fauré, “Pelléas et Mélisande”
César Franck, “les Djinns”
Symphonie en ré mineur
Florian Noack, piano
Orchestre National de Belgique
Otto Tausk, Direction
Dimanche 28 août 2022
“BOLERO DE RAVEL” 15h Abbatiale Saint Robert
Maurice Ravel “Ma mère l’oye” (Suite), Boléro
César Franck “Variations symphoniques”, “Le chasseur maudit”, “Les Eolides”
Florian Noack, piano
Orchestre National de Belgique
Otto Tausk, Direction
“CANTATES FRANÇAISES” 17h30, Auditorium Cziffra
Œuvres de Lefebvre, Antoine Dornel, Mongaultier, Clérambault,
Francoeur, Dandrieu, Travenol, Bernier.
Gwendoline Blondeel, dessus
Edwin Fardini, basse-taille
Le Consort
Justin Taylor, clavecin