Benoît Menut
Benoît Menut © Bernard Martinez

Benoît Menut, dompteur de tigres de papiers

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Le compositeur Benoît Menut a participé au recueil “Lettres de musiciens confinés” co-édité par la Fondation Banque Populaire et la Lettre du Musicien. Il évoque pour Classicagenda ses réflexions au sein de cette publication, sa période de confinement mais aussi son deuxième disque intitulé “Les Îles”, un voyage initiatique captivant entre Bretagne et Caraïbes.

 

Benoît Menut, comment avez-vous vécu cette période de confinement ? Avez-vous créé ?

Je l’ai vécue comme tout le monde je crois, avec effarement, puis crainte. On ne savait pas ce que l’on allait vivre, au propre comme au figuré, c’est-à-dire le fait d’être confiné en tant que tel même si le métier de compositeur est un métier de confinement. Là c’était autre chose, une injonction à ne pas sortir, à ne pas avoir de relations sociales, à ne plus voir de concerts. Une angoisse pour ceux qu’on aime, cette maladie qu’on connaissait mal…
Pour le côté positif, en tant que créateur, je n’ai pas écrit durant ce confinement. À la différence d’autres collègues, j’écrivais d’autres choses. J’ai impulsé avec Jean-Louis Agobet la Fédération nationale des compositeurs et compositrices français ou étrangers vivant en France, afin que notre métier puisse être reconnu. Dans notre profession, on ne parle jamais des créateurs. Nous en sommes à 350 membres : Kaija Saariaho, Dusapin, Camille Pépin… avec toutes les écoles, toutes les esthétiques, et 30 % de compositrices.

Dans notre profession, on ne parle jamais des créateurs.

Ce confinement a aussi été l’occasion d’apprendre la lenteur car mon nouveau disque (« Les Îles ») devait sortir mi-avril, puis ce fut fin mai, puis le 12 juin… Apprendre aussi que l’on ne peut pas tout contrôler. En plein confinement, mon album et les clips qui vont avec sont une allégorie du voyage et de la liberté intérieure par la beauté de la nature rêvée, imaginée. Ce disque est un espace d’échappement, de liberté et de rêverie dans un monde complexe. 

Benoît Menut
Benoît Menut © Bernard Martinez

Dans le recueil “Lettres de musiciens confinés”, vous vous postez en “dompteur de tigres de papiers”. Que voulez-vous signifier ?

J’ai choisi ce titre car c’est une réaction à la phrase du Président de la République (ndlr : “On rentre dans une période où on doit en quelque sorte enfourcher le tigre, et donc le domestiquer”,  Emmanuel Macron au sujet du virus, le 6 mai, lors d’une visioconférence avec des artistes). J’ai été sidéré qu’il apparaisse sans veste et manches retroussées, nous demandant de “chevaucher le tigre”, d’aller dans les écoles, alors que nous faisons cela depuis des décennies ; et rien au sujet des artistes auteurs…

“Dompteur de tigres de papiers” car après ma mort, les papiers sur lesquels je compose seront vivants, domptés et interprétés par d’autres personnes. Je suis dompteur de ces tigres-là car je décide de leur temps, je les façonne. Mais une fois qu’ils ont leur vie, c’est eux qui me chevauchent, la musique m’est supérieure. Ce tigre de papier, c’est un fauve qu’il faut réveiller tout le temps. 

Lettres de musiciens confinés
Lettres de musiciens confinés

Vous êtes vous-même ancien lauréat de la Fondation Banque Populaire 2008. Qui sont les autres auteurs de cet ouvrage ?

Ce sont les artistes lauréats de la Fondation dans toute leur diversité : l’accordéoniste Vincent Lhermet, la compositrice Camille Pépin, le Trio Karénine, la violoncelliste Astrig Siranossian… Le choix a été pertinent. Il y a différentes générations de créateurs et on donne la poésie finale à un de nos grands maîtres : Philippe Hersant. Avec ses belles photos de toits et de cheminées de Paris depuis son appartement, il nous incite à voir plus haut que notre horizon. 

Les recettes de ce livre seront reversées à Donnons pour Démos afin de soutenir l’achat d’instruments dans le cadre du dispositif Démos, pour que chaque enfant en dispose.

 

Votre deuxième disque intitulé “Les Îles” vient de paraître chez Harmonia Mundi. Quelles ont été vos sources d’inspiration ?

Elles ont été triple : la poésie, la nature, et l’amitié. La poésie de Dominique Lambert, un grand ami, et Aimé Césaire. La nature, car je voulais chanter là d’où je viens, la pointe bretonne devant Ouessant, ce que l’on appelle la mer d’Iroise. C’est un voyage vers l’ouest atlantique, jusqu’aux mers Caraïbes, puis un retour en Bretagne. Avec ce disque, j’ai rêvé être sur un bateau et emmener des personnes.

La conception de l’enchaînement des pièces est une dentelle qui gère les énergies : fortes, douces, violentes, apaisantes… comme l’est le voyage.

Ensuite, l’amitié, car j’ai voulu continuer un bout de chemin avec mes vieux amis, en particulier le violoncelliste Patrick Langot, un brestois. Maya Villanueva aussi, grande soprano française, créatrice du rôle de Lis dans mon opéra Fando et Lis, mais également la violoniste Stéphanie Moraly, le pianiste Romain David, les violoncellistes Emmanuelle Bertrand et Patrick Langot

Partition - Les Îles de Benoît Menut
Partition – Les Îles

Ce disque est aussi un hommage à la vision qu’avaient les groupes américains des années 70 de construire leurs albums avec des plages de longueurs différentes. La conception de l’enchaînement des pièces est une dentelle qui gère les énergies : fortes, douces, violentes, apaisantes… comme l’est le voyage. Un voyage initiatique.

Certaines pistes audio sont associées à des vidéos. La 1ère piste de votre album fait l’objet d’un clip étonnant.

En effet, avec ce clip, on chevauche un oiseau sous-marin, l’Oiseau Didariel, une oeuvre d’art en marbre du sculpteur Nito (Nicolas Dariel) que l’on a filmée sous l’eau et avec laquelle on traverse l’Atlantique, comme une allégorie. 

On a superposé au jeu du pianiste Romain David des images sous-marines extraordinaires. Joachim Dariel, le fils de Nicolas Didariel, est allé filmer l’oeuvre de son père, l’Oiseau Didariel dans les lagons, entre les requins, avec des poissons tropicaux… C’est inédit dans le monde de la musique classique ! 

 

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Concert de lancement du disque Les Îles le 12 octobre à la Scala 

 

 

Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la Fondation Banque Populaire.

Rédacteur en chef adjoint de Classicagenda, Julien Bordas rédige également depuis 2016 des articles d'actualité, des interviews et des chroniques de concerts. Sa passion pour la musique classique provient notamment de sa rencontre avec l'orgue, un instrument qu'il a étudié en conservatoire et lors de masterclass.

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