(1/3). Le bicentenaire de la naissance de César Franck est une magnifique occasion de découvrir et de mieux approfondir les traits de la personnalité étonnante du musicien. Nous décryptons dans cet article le caractère de l’artiste, habité par un monde de dualité.
Au risque salutaire de détruire l’image figée de l’Archange Franck, sculptée dans le marbre par Alfred Lenoir (square Sainte-Clotilde à Paris, monument inauguré en 1904) il nous faut percevoir le « jeu des contraires » se positionnant chez le musicien entre action et inaction, passion et raison. Il restait «un sentimental qui se raidit, un passionné qui s’observe » (Norbert Dufourcq, La Musique d’orgue française de Jehan Titelouze à Jean Alain, Floury, 1949) donnant à sa personnalité un soupçon d’inachevé et de perpétuel renouvellement : « Il y a parfois dans sa manière et dans son être quelque chose d’inachevé, d’hybride, qui permet à la griffe de prendre avec fermeté. » (Éric Lebrun, César Franck, Bleu nuit éditeur, 2012.)
On a dépeint César Franck, à tort comme un être résigné, voire passif : ainsi Emile Vuillermoz, insistant trop sur l’aspect « éthéré » dont on a voulu absolument affubler Franck : « La vie de cet apôtre fut faite de douce résignation. » (Histoire de la musique, Librairie Arthème Fayard, 1949.) Pourtant certains témoignages tendent à nous le révéler comme nerveux, impatient et résolument passionné. Citons-en deux :
« Il me rappelle toujours davantage Wagner, dont il n’a pourtant pas du tout les traits ; mais c’est le même air de supériorité bonhomme, les gestes brusques, la vivacité, l’œil à la prunelle petite et perçante, la bouche serrée, le sourire, la bienveillance un peu affectée … Dans la salle, ses partisans enthousiastes applaudissent avec frénésie … » (Mémoires, Albin Michel, 1956.)
Mon père était la vie même, toujours exigeant, toujours vibrant.
« Mon père était la vie même, toujours exigeant, toujours vibrant. Il avait une nervosité excessive, dominée par une volonté lucide et rapide, même dans les rêveries les plus exquises…» (Germain Franck, fils aîné du compositeur et ardent défenseur de son œuvre et de sa diffusion).
César Franck était habité par un monde de dualité : l’humain et le divin, la terre et le ciel, entre lesquels il parvint à dessiner une passerelle.
Un monde de passions réellement humaines habite tant le Quintette avec piano que la Sonate pour violon et piano. On a, du reste, souvent rattaché le Quintette à la plus ou moins réelle passion de Franck pour son élève Augusta Holmès, preuve de la « matérialité » du musicien : « l’Archange » étant d’abord un homme avec ses antagonismes.



Les remous d’un caractère passionné gouverneront son art et ce dès sa jeunesse, dès le Premier Trio (1842). Certes, l’époque s’y prêtait, les modèles étaient influents, l’émulation de ses pairs active, mais quel tempérament se révèle dans ce chef-d’œuvre ! Il semble que sa nature par la suite, au moins jusqu’en 1862-68 (époque des Six Pièces pour grand-Orgue), se soit davantage repliée avec quelque besoin inconscient d’exercer un contrôle dans l’expression des sentiments. Il demeurait depuis l’enfance plus ou moins bridé, voué à un état de soumission qui perdurera et se transposera au fur et à mesure du déroulement de sa vie. De fait, il éprouva un incessant besoin de tutelle, d’une prise en charge au niveau affectif et dans certaines orientations de sa vie.



Il eut, nous le savons, quelques difficultés à bien assumer son indépendance et à savoir se mettre en valeur, recherchant des âmes fortes comme son épouse Félicité, un guide en la personne de Liszt, dont il se croyait, sans doute plus que de raison, le protégé. Ses disciples, ceux de « la bande à Franck », se prêtèrent grandement à un jeu protecteur contre les adversaires du maître, ou du moins à ceux qui pouvaient critiquer un art qui finalement leur échappait (tels Saint-Saëns, Thomas, Massenet, Gounod).
Présentation du dossier César Franck
Retrouvez le dossier sur Classicagenda :
(2/3) Un enseignement de haut vol
(3/3) Une oeuvre aux multiples facettes


