Jean Gallois
Le musicologue Jean Gallois.

Hommage à Jean Gallois (1929-2022)

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L’éminent musicologue Jean Gallois vient de nous quitter tout récemment (4 octobre 2022). Notre collaborateur Franck Besingrand lui rend hommage sur Classicagenda.

 

C’est le mardi 11 octobre au matin que nous nous retrouvâmes autour de ses proches, de ses amis et de quelques collègues, à Notre-Dame des Champs de Paris pour lui rendre un dernier hommage.

Après l’office émouvant où la musique ne fut pas absente, nous accompagnâmes Jean Gallois à sa dernière demeure terrestre, dans le caveau familial du cimentière Montparnasse, à deux pas de la tombe de la grande pianiste Clara Haskil.

Homme de goût et de culture, Jacques Gaillard (qui avait pris comme nom de plume le pseudonyme Jean Gallois) était né le 30 mars 1929 à Nevers. Conteur né, à la verve intarissable, toujours en quête d’anecdotes savoureuses, parfois malicieuses (car il cultivait un sens de l’humour bien à lui), il maniait la plume avec une élégance bien française, dans un style vivant et raffiné, érudit mais sans affectation. Mais avant de parler de l’écrivain, il faut évoquer la figure du critique musical signant des commentaires de livrets de disques, des articles de journaux musicaux, et collaborant à des revues comme Crescendo. Membre de l’Académie Charles Cros, il animait également des émissions radiophoniques françaises et suisses.

Son éclectisme, l’étendue de ses connaissances, ses divers attraits en matière d’esthétique, font de Jean Gallois autant un historien qu’un biographe recherché, dont les connaissances musicales et techniques (il était violoniste et pratiquait le piano) donnaient plus d’acuité à ses réalisations. Une dizaine d’ouvrages prouvent son attrait pour l’époque baroque et on retrouve, en particulier, des biographies de Vivaldi (1967), d’Haendel (Le Seuil 1980, Bleu nuit éditeur, 2019) ou de Lully (éditions Papillon, 2001). 

Mais tout autant, et plus peut-être encore, le romantisme et le post-romantisme l’habitèrent toute sa vie et lui permirent de réaliser des ouvrages importants sur César Franck (Le Seuil, 1966), Bruckner (Le Seuil, 1971 et Bleu nuit éditeur, 2014), Schumann (Classiques Hachette, 1972 et Bleu nuit éditeur, 2020), Saint-Saëns (Mardaga, 2004). 

Il ne dédaigna nullement le XXème siècle, mettant en honneur Stravinski (Bleu nuit éditeur, 2016) et rédigeant le catalogue des œuvres de son ami Maurice Delage (1879-1961), par ailleurs assez proche de Ravel. Son ouvrage « Les Polignac, mécènes du XXème siècle » (Editions du Rocher, 1995) fut couronné par l’Institut social de France et de l’Union européenne.

Mais le compositeur qui occupa une large part des recherches musicologiques de Jean Gallois  reste Ernest Chausson (1855-1899), à tel point qu’il en devint le spécialiste incontournable. Il signa plusieurs ouvrages sur le compositeur de La Chanson perpétuelle dont le plus important, publié chez Fayard en 1994, obtint le Grand Prix Bernier de l’Académie des Beaux-Arts. Il rassembla et présenta également des écrits inédits, le Journal intime et la correspondance musicale de Chausson (Edition du Rocher, 1999).

Après avoir été directeur artistique de la collection Mélophiles des éditions Papillon (Genève), en 2004 Jean Gallois insuffla chez Bleu nuit éditeur la création d’une collection d’ouvrages biographiques sur des musiciens, ouvrages illustrés avec en outre des exemples musicaux et rappelant, d’une manière plus actuelle, l’esprit de la collection Solfèges des éditions du Seuil. Jusqu’en 2008, notre musicologue dirigea donc cette collection de Bleu nuit éditeur, appelée Horizons et qui vient récemment de franchir allègrement le cap des cent compositeurs, belle preuve de succès !

Malgré son grand âge et une certaine fatigue, Jean Gallois conserva intact jusqu’à ses dernière années son goût pour l’écriture : il travaillait encore sur un projet de livre concernant les ballets russes de Diaghilev.

Pour ma part, j’aimerais ajouter mon modeste souvenir dans cette évocation de Jean Gallois. Il m’avait reçu chez lui, dans les années 1975, dans son bel appartement de la rue du Maréchal-Harispe, dans le septième arrondissement et proche des Invalides. Je me souviens de son salon où rayonnait un beau piano forte. Tant sur la table que par terre, s’amoncelaient des livres, des revues, des CD, comme preuve de l’activité intense du musicologue. À la fin de mes études, je venais le consulter sur la direction à donner à mon parcours musical, hésitant entre plusieurs domaines. La sympathie et la confiance furent vite réciproques et nous discutâmes pendant deux heures de musique d’orgue, de littérature, de César Franck, de Messiaen, de Ravel, de son cher Chausson, compositeur qu’il me fit découvrir et aimer, à tel point qu’il n’a jamais quitté depuis ma sphère musicale. Paternel, Jean Gallois m’apparaissait intarissable, sachant atténuer ma timidité et ma réserve habituelles et me communiquer sa passion pour cette « religion de la musique », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Camille Mauclair, à la fois poète, romancier, historien d’art et critique littéraire français. 

Par la suite, je revis plusieurs fois Jean Gallois, chez lui ou lors d’un déjeuner dans un bon restaurant de son quartier. Il m’encouragea à travailler en profondeur et à écrire sur les musiciens que j’aimais, en particulier ceux de l’école franckiste. En ce domaine, bien entendu, il me rejoignait totalement. Il fut à l’origine de mes biographies de Louis Vierne (2011), et d’Henri Duparc (2019), toutes deux publiées chez Bleu nuit éditeur.

Jean Gallois fut un homme épris d’un idéal, celui d’un humaniste, recherchant l’union entre les forces divines et terrestres. Profondément croyant, il rejoignait la pensée de César Franck, qu’il vénérait particulièrement et on ne peut manquer d’évoquer ce que chante le chœur célébrant la victoire spirituelle d’Arthus, à la toute fin du grand opéra d’Ernest Chausson, Le Roi Arthus :

              « Sur ton front royal

                 Qu’a dédaigné la victoire,

                 Plane la suprême gloire

                 D’avoir cru dans l’IDÉAL. »

Franck Besingrand est organiste, compositeur et musicologue. Il a publié plusieurs biographies de compositeurs français et collabore à des revues musicales tant françaises qu’internationales. Pour Classicagenda, il a réalisé les portraits musicaux de Vierne, Duparc, Tournemire, Franck, et un hommage à Jean Gallois.

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