Evènement incontournable de la vie musicale internationale, le Concours de Genève a choisi, pour sa 76ème édition, de se consacrer d’une part à la composition – vocale – et d’autre part, au piano. Nous avons assisté à la partie composition qui a couronné Shin Kim avec The Song of Oneiroi pour six voix et microphones.
Le 26 octobre, accueillie dans l’élégante et presque intime Salle Franz Liszt du Conservatoire de Genève, la finale du concours de composition nous a permis de découvrir, devant une assemblée particulièrement attentive, les trois compositions des finalistes. Compositions interprétées magistralement par l’ensemble Neue Vocalisten Stuttgart, composé de six chanteurs : deux sopranos, une mezzo-soprano, un ténor, un baryton, une basse.
La soirée était introduite par Matteo Inaudi, président du Concours de Genève, qui se réjouissait à l’avance de ce qu’allait “proposer la nouvelle génération”, puis par le secrétaire général du concours, Didier Schnorhk qui a rappelé les règles. Les candidats devaient réaliser une composition d’une durée de 15′ à 20′ pour six chanteurs (la mezzo-soprano pouvant être remplacée par un contre-ténor), l’utilisation de l’électronique étant permise, le tout émanant d’un compositeur né après le 1er juin 1982 (donc ayant moins de 40 ans).
Rappelons qu’une épreuve de sélection sur partitions réalisée en juin 2022 précédait la finale. Le jury en a retenu 3 sur 97 adressées par des candidats de 37 pays.
Le jury qui avait procédé à cette sélection et qui allait décerner le Prix du Concours, était présidé par Beat Furrer, suisse et autrichien, et composé du danois Hans Abrahamsen, de la coréenne du Sud Unsuk Chin (élève de Gyorgy Ligeti), de l’italien Stefano Gervasoni (enseignant depuis 2006 au Conservatoire national de musique de Paris) et de l’allemande Isabel Mundry.
Cette finale de composition mettait aux prises trois jeunes compositeurs, le hongrois Armin Cservenak (né en 1995), le japonais Yuki Nakahashi (né en 1995) et le coréen Shin Kim (né en 1994).
Avant que nous ne découvrions les œuvres dans leur interprétation, chaque candidat s’est présenté personnellement dans une courte vidéo de quelques minutes qui présentait son œuvre, bien sûr, mais également ses goûts, son rapport à la musique…
Un goût étonnamment commun pour le rêve
Il ressort de ce petit exercice quelques enseignements. Pour deux des candidats : le hongrois Armin Cservenak et le sud-coréen Shin Kim, un goût étonnamment commun pour le rêve. Pour Armin Cservenak, la musique se doit de s’interroger sur l’inconscient et explorer le subconscient, affirmant pour sa part une passion pour les langues italienne et française, les estimant propres au chant, et bien sûr pour le madrigal dont il entend renouveler la forme, notamment par la composition présentée ici et nommée justement Madrigali a sei voci. Il déclare: “Rêver est un état, un lieu où le monde inconscient s’ouvre à nous et nous permet de mieux nous connaître…“

Pour Shin Kim, le rêve a également toute sa place dans la musique : son rôle est de raconter des histoires et aussi de transmettre, autant que possible, le parcours des rêves. La musique se doit d’être la plus onirique possible ; le titre de son ouvrage The Song of Oneiroi ne signifie-t-il pas “le Chant du rêveur” ? Il revendique – et il est le seul à le faire dans le cadre de ce concours – l’usage de l’électronique. “Avec cette œuvre musicale, j’ai tenté de décrire les rêves et leur nature descriptive en les traitant à la manière des histoires que l’on raconte aux enfants pour les endormir”, écrit-il à propos de The Song of Oneiroi pour ensemble vocal et électronique.

Quant à Yuki Nakahashi (élève de Stefano Gervasoni), il affirme avoir été inspiré par Jean-Sébastien Bach. Il déclare qu’avec la voix on peut aborder la vie de tous les jours, mais également la transcendance…, ajoutant aussitôt qu’il en est de même de la musique comme… de la cuisine. Il affirme que l’on est en droit de s’intéresser aux ingrédients pour eux-mêmes qui constituent la base de la cuisine, mais aussi, somme toute, du résultat qu’ils permettent. S’agissant de l’œuvre présentée ici, Settings, pour ensemble vocal : “La forme de l’oeuvre est celle d’une cantate chorale amplifiée dans laquelle une variété de textes et de textures musicales forment un empilement de couches discursives”. Cet empilement ne fait-il pas écho au mille-feuilles ? Donc à la cuisine… et à la musique !

Après cette mise en bouche, place à l’interprétation des trois œuvres finalistes.
Force est de constater – mais ce constat ne constitue pas en soi une critique – que l’on s’est trouvé en présence de formes compositionnelles très proches.
Quand on parle de “formes compositionnelles proches”, on parle des explorations multiples de la voix et du chant d’une manière générale. On veut aussi parler des glissandos multiples et variés, de l’usage de la voix parlée – du cri – et du corps (parfois frappé, mains et poitrines), du chant bouche ouverte sur main fermée, du chant interrompu, plaintif, murmuré, explosif, hurlé, ruptures de rythmes, aussi parfois genre de plain-chant. Pour tous, la part belle et pourrait-on dire, centrale, est faite à la respiration et au souffle. Mais bien sûr, des formes nourries par des discours très différents.
Comme il le soutient, Armin Cservenak exprime incontestablement ici une passion réelle pour les mots. N’a-t-il pas construit son œuvre sur des textes de Pétrarque et de Michel-Ange, superposés à deux poèmes de langue française de Giacinto Scelsi de 1947?
Yuki Nakahashi dans Settings exprime quant à lui, et avec passion, une belle inventivité de formes – et de sons – au service de sa “cantate”.
Seul, Shin Kim (s’il ne renonce pas aux formes décrites plus haut) ajoute une polyphonie qui lui aura sans aucun doute permis d’être couronné. Privilégier la vocalité sur des formes plus expérimentales a, semble-t-il, guidé sa composition.
N’est-ce pas finalement répondre à l’objet même de ce concours qui est de récompenser une composition vocale ?
Shin Kim remporte donc le Premier Prix avec The Song of Oneiroi pour six voix et microphones (ne pas oublier à cet égard le travail remarquable de David Poissonnier, ingénieur du son ). Le Second Prix est attribué à Yuki Nakahashi avec Settings pour ensemble vocal. Le Troisième Prix est attribué à Armin Cservenak avec Madrigali a sei voci.
D’autres prix étaient attribués : le Prix du public à Armin Cservenak. Celui des Etudiants et celui du Jeune Public, à Yuki Nakahashi, ainsi que le Prix Nicati-De Luze.
On rappellera ici l’importance de l’ensemble Neue Vocalisolisten Stuttgart, son implication et son incroyable virtuosité vocale au service de la création.
Rendez-vous dans 2 ans pour un nouveau Concours consacré à la composition.
Un dernier constat s’impose : l’histoire de la musique n’est pas finie ; elle s’écrit à Genève, ou ailleurs, tous les jours, et n’a de cesse de nous surprendre, de nous étonner et parfois, de nous émouvoir.
Le 76ème Concours de Genève se poursuit avec le concours consacré au piano jusqu’au dimanche 3 novembre.
Les articles de Classicagenda sur les précédents concours.