Cette année, le concours de Genève, qui s’est déroulé du 18 novembre au 5 décembre 2016, a mis l’accent sur le quatuor à cordes et le chant. Retour sur la 71ème édition de l’un des plus anciens et des plus prestigieux concours internationaux de musique.
Quatre critères sont utilisés pour juger les participants au concours de Genève dans la discipline du chant : le premier est évidemment l’instrument : “la voix doit être belle et reconnaissable et la technique solide” nous explique Hedwig Fassbender, présidente du jury. Ensuite viennent la musicalité, essentielle à l’expression ; la prestation artistique, qui comprend le fait d’être dans le bon style musical ; et enfin il y a cette qualité que l’on n’apprend pas, qui fait le grand artiste : le charisme. “Il y a des chanteurs qui, dès qu’ils montent sur scène, remplissent l’espace”, continue Fassbender.
Aujourd’hui c’est la finale du concours de chant : sur 38 participants, choisis parmi des centaines de candidats, seulement quatre chanteurs ont été sélectionnés par le prestigieux jury, composé par Hedwig Fassbender, Jocelyne Dienst-Bladin, Johannes Martin Kraenzle, Mauro Trombetta, Udo Gefe, René Massis, Jadwiga Rappe, Tobias Richter et Tomoko Takeuchi.
La tension est grande ici au Victoria Hall de Genève, le public est frémissant, les juges attendent patiemment. Les finalistes, en coulisses, se préparent à cette dernière épreuve. Malgré leur jeunesse, il ne peuvent pas se laisser vaincre par le trac car dans la longue carrière qui les attend ils devront s’y confronter chaque jour. C’est le destin de l’artiste : fragile dans le noir des coulisses et solide une fois sorti dans la lumière.
Sur scène il y a l’orchestre de la Suisse Romande, avec laquelle les chanteurs auront la chance de se produire, sous la baguette de Constantin Trinks et en direct sur Espace 2 et en streaming vidéo sur RTS.ch
Chaque candidat à dû imaginer lui-même le programme de cette finale, qui doit comprendre un air d’opéra au choix, une mélodie ou un Lied avec orchestre et un autre air au choix entre opéra, opérette et oratorio. Les interprètes seront ainsi jugés également sur “l’originalité de la proposition ainsi que sa cohérence artistique”.



Le premier candidat est Seung-Jick Kim, qui a remporté le convoité Concours Dong-A en Corée et a été finaliste au concours Reine Elisabeth à Bruxelles. Le jeune coréen à choisi un programme trilingue avec un air en français, un en russe et un Lied en allemand. De manière très convaincante, l’orchestre arrive à nous mettre dans l’ambiance de chaque pièce : nous nous retrouvons à rêver d’amour devant la maison de Marguerite (Salut ! Demeure chaste et pure…), à attendre la mort dans une froide matinée d’hiver russe avec Lenski (Kuda, kuda, vi udalilis) et puis à assister au dialogue silencieux entre deux amants (Heimliche Aufforderung).
Le timbre de voix du jeune coréen se fond très agréablement avec l’orchestre, et son interprétation est très touchante, tout particulièrement dans l’air tiré d’Eugène Onegin.
C’est ensuite le tour du mezzo Marina Viotti qui en tant que “Jeune Soliste” a récemment interprété Rosette dans la Manon mise en scène par Olivier Py au Grand Théâtre de Genève. Après des études de flûte traversière, de hautes études littéraires et des expériences dans le gospel, le métal et le jazz, l’éclectique chanteuse, suisse, française et italienne, a enfin trouvé sa voie dans le chant lyrique.
Son programme autour de l’amour commence par une interprétation très pertinente d’un des Kindertotenlieder de Mahler (Nun seh’ ich wohl, warum so dunkle Flammen) dont nous remarquerons l’intense aigu en pianissimo tout en retenue, valorisant le dramatisme du texte.
Sa Charlotte (Werther ! Qui m’aurait dit… Ces lettres…) est également réussie, complice de l’expressivité de l’orchestre qui, sous la direction soignée de son chef, souligne l’ambiance tourmentée de cet air, préfigurant la mort du protagoniste de l’opéra de Massenet. Elle termine son épreuve avec un air de travesti, tiré de La donna del lago de Rossini (Mura felici…Elena! O tu, che chiamo…), qui met en valeur la clarté et la souplesse de sa voix, tout comme sa gestion du souffle, qui lui confère un legato irréprochable.
Le troisième chanteur est David Fischer, qui, après des études de violon, s’est spécialisé en chant avec Reginaldo Pinheiro à la Hochschule für Musik de Freiburg et a suivi les classes de maître de Brigitte Fassbaender et François-Xavier Roth.
Le jeune allemand a choisi un programme très prenant, comprenant le seul air d’oratorio de la soirée. Comme pour offrir un avant-goût réaliste de l’interprétation de ce répertoire sur la scène, il chante la partition à la main Gefesselt steht der breite See – Hier steht der Wandrer nun, tiré des Saisons de Haydn.
La voix claire, pure et très puissante de Fischer est un vrai régal : il projette le son dans la salle de manière très contrôlée, en le mettant au service des lignes mélodiques et de la narration, comme dans l’émouvant decrescendo dans le nocturne de la Sérénade pour ténor, cor et cordes op.31 de Britten et l’éloquente messa di voce dans l’air de Nemorino de l’Elisir d’amore (Una furtiva lagrima).



Fille d’une chanteuse, formée à la Maîtrise de Radio France et au Conservatoire national supérieur de musique et danse de Paris, la dernière candidate, Marie Perbost, prend place sur la scène avec beaucoup d’aisance. Entre sa longue robe verte qui frotte le sol, sa démarche assurée, ses gestes et son regard vers le public, elle montre l’étoffe d’une diva. Comédienne expérimentée, elle instaure immédiatement un lien avec le public et le séduit à travers ses gestes, ses regards et les expressions de son visage, même si parfois ils paraissent un peu affectés.
Passionnée d’opérette, elle nous charme avec l’air de Vilja de La veuve joyeuse, grâce à sa voix moelleuse et ses aigus précis et puissants à la fois. Toujours dans son jeu de star, elle offre au public le célèbre Un bouquet … Ah! Je ris… Air des bijoux, où elle exprime de manière très réaliste l’étonnement, l’excitation et l’explosion de joie de la modeste Marguerite du Faust, qui se met à rêver d’être une princesse.
Si le premier prix du quatuor à cordes a été décerné au quatuor allemand Vision String Quartet (qui gagne également le Prix du Public, lequel était invité à voter après le concert, et le prix Coup de coeur Bréguet, qui leur permettra d’enregistrer un CD sous le label Claves Record), son équivalent en chant n’est en revanche pas attribué : c’est le deuxième prix qui va à David Fischer, pendant qu’un troisième prix est attribué ex-aequo à Marina Viotti et Seung-Jick Kim.
Pour finir, c’est à Marina Viotti que va le prix du Cercle du Grand Théâtre de Genève, qui lui permettra d’avoir un engagement pour un premier ou deuxième rôle lyrique dans la prestigieuse Maison. Tout comme le Concours en lui-même, cette récompense s’insère dans une démarche qui n’est pas uniquement celle de dénicher des talents, mais consiste également à accompagner les jeunes en début de carrière et à les faire grandir.