Le Grand théâtre de Dijon propose actuellement une nouvelle production des Contes de Hoffmann, par le metteur en scène Mikaël Serre. Retour sur cette proposition moderne et décalée de l’opéra d’Offenbach.
Sur le tapis rouge défile la grande chanteuse Stella. Ses fans hurlent son nom et l’acclament, pendant qu’elle pose fièrement devant les caméras.
Plus tard, dans sa loge, la prima donna discute avec un journaliste de ses rôles, de sa carrière et de ses amours. Son discours est préparé dans le moindre détail, des anecdotes sur ses premiers rôles à sa façon personnelle de voir la vie.
L’interview terminée, la diva se prépare à monter sur scène, où elle doit incarner Donna Anna dans Don Giovanni, mais est interrompue par l’arrivée de son amant, le poète Hoffmann, qui lui fait une scène de jalousie. Stella le chasse, puis lui laisse une clé et écrit un message de réconciliation sur le miroir avec son rouge à lèvres, et sort.
Son agent artistique (Lindorf) rentre dans la loge et comme il voit de mauvais œil sa relation avec le poète, il prend la clé et efface le message, ce qui fait sombrer Hoffmann dans le désespoir.
Allongé sur un lit circulaire, il passe en revue des magazines voyant Stella en couverture et se console avec de l’alcool, sous les yeux de sa fidèle Muse.
Puis, un groupe de fans fait irruption dans la pièce, et Hoffmann sombre dans le triple rêve, qui le verra déçu par ses trois amantes.
C’est ainsi que commencent Les Contes d’Hoffmann revisités par Mikaël Serre. Le metteur en scène a réduit le livret – le spectacle ne dure que 1h50 – et y a intégré des citations de Friedrich Nietzsche, Ingmar Bergman, Werner Schroeter et Michel Houellebecq.
Chacun des contes présente un univers décalé, caractérisé par des contaminations visuelles (des vidéos et des animations, par Sébastien Dupouey) musicales (par Peter Von Poehl) et sonores (le son des flippers), vouées à raconter de nouvelles histoires en filigrane.
On y retrouve Olympia en poupée criminelle brandissant un Kalachnikov, le visage caché par une cagoule ; Antonia en une jeune femme abusée par son père, et enfin Giulietta en femme fatale et traîtresse.
À l’ère du #meToo, et des scandales hollywoodiens, cette mise en scène nous montre la vacuité de l’univers clinquant du monde du spectacle, et de ses aspects misogynes, violents et hypocrites.
Les décors et les costumes sont versatiles et bien imaginés : on y trouve un lit rond qui devient bar, qui peut se déplacer et tourner, faisant valser les amants ou permettant de s’y cacher derrière, les robes de chambre montrent la parenthèse irréelle des trois histoires et les flippers se font jeux d’innocent divertissement, de dépendance et de hasard.
La direction d’acteurs est très efficace et parlante : elle réussit d’un côté à être riche de signification avec une simple disposition dans l’espace, de l’autre à nous étonner et divertir en retrouvant les chanteurs dans les balcons ou assis au premier rang.
La distribution est de très bonne qualité, et chaque chanteur assure plusieurs rôles à la fois avec assurance, d’autant plus qu’il sont dirigés via des écrans, l’orchestre et son chef, Nicolas Chesneau, se trouvant sur le fond de la scène.
Samantha Louis-Jean arrive à donner une personnalité adaptée à chacune des femmes qu’elle incarne, la prétentieuse Stella, la menaçante (malgré elle) Olympia, la soumise Antonia et l’espiègle Giulietta. On admire sa capacité à interpréter le célèbre Les oiseaux dans la charmille en se faisant tirer par les bras et traîner à droite à gauche.
Kévin Amiel est extrêmement sympathique et son interprétation d’un Hoffmann ivre très réaliste. Sa voix est homogène et pleine (les similitudes avec Roberto Alagna sont évidentes) et son vibrato riche et contrôlé. Marie Kalinine présente de manière très élégante et assuré l’ambiguë personnage de la Muse/Niklausse, qui est ici une femme tout le long de l’histoire, sauf à la fin, où elle porte un masque d’homme et Damien Pass est un très charmant Lindorf/Coppélius/Docteur Miracle/Dapertutto, à la voix chaleureuse et à l’allure maline.
Dans cette production plutôt modeste, aux effectifs réduits (moins de personnages et un orchestre de chambre) et devant s’adapter à une petite salle, nous remarquons également l’intelligence et l’inventivité des décors, des costumes, de la scénographie et de la direction d’acteurs. Nous sommes certes perturbés par les coupures et les changements de sens, parfois on veut trop dire ou trop en faire, comme dans le long monologue final, mais finalement la proposition tient la route, l’histoire reste cohérente et se laisse suivre avec intérêt et entrain.