Giulio Prandi © Ghislieri Choir & Consort
Giulio Prandi © Ghislieri Choir & Consort

Conversation avec Giulio Prandi

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Conversation avec Giulio Prandi, directeur du Ghislieri Choir & Consort

À côté de votre formation musicale vous avez fait des études de mathématiques. Est-ce que cela a une influence sur votre façon d’approcher la musique ?

Parallelement à mes études musicales, un degré de chant à Pavie, composition et musique chorale au Conservatoire de Milan et un master de direction d’orchestre avec Donato Renzetti à l’Académie de Pescara, j’ai effectivement étudié les mathématiques à l’Université de Pavie.

Cette discipline m’a aidé parce que grâce à la méthode scientifique je peux lire vraiment ce qui est écrit sur les partitions, sans à prioris, surtout quand il s’agit d’oeuvres très connues. Je pense que la raison est essentielle pour maîtriser l’émotion.

 

Comment se passe le travail de recherche, qu’est-ce qui motive vos choix ?

L’investigation du répertoire est très passionnante : dans les archives des conservatoires, des églises, des monastères et des bibliothèques nationales, il y a une grande quantité de manuscrits.

Des fois il m’arrive d’être intrigué en lisant une lettre où un musicien raconte d’avoir écouté et apprécié une certaine pièce d’un certain compositeur, mais la méthode de recherche est très objective : tout commence par l’identification de sources et par le constat de la diffusion d’une oeuvre. Ensuite il y a la possibilité de se faire envoyer des partitions, mais je préfère toujours aller sur place pour discuter avec les gens et faire des recherches supplémentaires.

J’ai également l’habitude d’examiner beaucoup de partitions pour analyser la façon d’écrire du compositeur et d’en discuter avec Alberto Guerriero et Maria Cecilia Farina, respectivement violoncelliste et claviceniste au sein du Ghislieri Choir & Consort.

Faire un choix est la partie la plus difficile, parce qu’en tant que musicien je sens avoir une responsabilité vis à vis de la société, qui m’oblige à privilégier ce qu’il y a de plus intéressant dans le répertoire. Il faut que la musique fasse plaisir au écouteurs, mais également qu’elle puisse toucher leurs âmes et les faire réfléchir.

Le Beatus Vir de Jommelli, que nous avons joué au festival d’Ambronay, est une oeuvre difficile et le fait de la présenter dans le temple de la musique baroque, me stressait un peu, mais la veille, en assistant au concert de Jordi Savall, j’ai retrouvé la joie et l’envie de jouer ces oeuvres et de faire plaisir au public.

 

Après la lecture de la partition, viennent les choix d’interprétation, comment vous y approchez-vous?

Mon maître de composition, Bruno Zanolini, disait que “la composition et l’exécution sont une succession de choix”. Pour moi l’exécution ne doit pas être académique, car c’est l’expression de l’âme et doit pouvoir émouvoir les écouteurs. Il faut donc faire des choix pour que la musique arrive, avec son message, à toucher les gens.

Dans notre répertoire ce sont les détails qui font la différence, il y a des problématiques musicales mais aussi textuelles, tout peut se jouer dans la couleur des voix ou dans la façon de prononcer un certain mot.

 

A propos d’archives, vous avez été en résidence à l’abbaye de Royaumont.

Oui et j’en ai été ravi : Royaumont a la capacité de de bien conserver les partitions, de mettre en valeur son patrimoine et surtout de le faire jouer. C’est à Royaumont que nous avons repéré Davide Perez, dont nous avons joué le Mattutino de’ morti en 2013.

Mais quand vous trouvez une partition, elle n’est pas forcement prête à être jouée.

Exactement, on n’imagine pas forcement le travail de retranscription qu’il faut faire. Le Mattutino de’ morti, par exemple, m’a pris deux ans. C’est une musique atypique et très personnelle et nous sommes contraires à la “normalisation”. Quand on est confronté à des traits stylistiques originaux – comme dans le Jocundus homo du Beatus Vir de Jommelli, où on retrouve un forte au milieu d’une mesure – il faut faire confiance au compositeur. Il est aussi important de se faire une idée du travail des copistes – dont très peu ont été identifiés, mais dont on reconnait les écoles de provenance – s’ils sont fiables, il faut leur faire confiance, surtout que pour eux c’était de la musique contemporaine !

La force de la musique est dans les choix de traitement des cellules et les raisons de ces choix sont souvent cachées dans la musique elle-même : si parfois quelque chose peut nous apparaître bizarre à la lecture, ça ne l’est pas forcément à l’exécution. Dans le Beatus Vir de Jommelli, par exemple il y a un air dont l’écriture peut paraitre surprenante, où le discours du soprano se fait vocalise, mais en realité il y a un sens, car il s’agit d’une espèce de délire mystique.

 

Nous sommes un peu trahis par nos oreilles et notre culture musicale du XXI siècle.

Tout à fait, nous avons dans les oreilles Stravinsky et Malher, mais aussi les Beatles. La musique ancienne nous trahit tout le temps et fait ressortir nos automatismes.
Il faut donc trouver un equilibre entre le travail historique et informé et jouer une musique aujourd’hui pour des oreilles du XXIe siècle, tout en rendant justice à la musique et à ce que le compositeur souhaitait exprimer.

 

Vous revenez souvent au concept de responsabilité du musicien. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Même s’il a été gagné avec beaucoup d’années d’études, je trouve que le métier du musicien est un privilège dans la société d’aujourd’hui.
Nous devons donc le mériter en faisant de notre mieux pour offrir à la société toute la beauté et le sublime de la musique, en l’amenant aussi vers les gens qui en sont privés. Je pense notamment aux hôpitaux et aux prisons, mais également aux écoles où il y a des enfants qui ont pas les moyens d’étudier la musique ou d’aller au concerts.

A Pavia nous essayons aussi d’intégrer les étudiants à nos projets et aussi à notre chœur amateur qui, au fil et à mesure des années, a atteint un très bon niveau.

Il est important d’amèner la musique vers les gens, au-delà des salles de concert. Nous devons parler aux âmes des gens et donc oui, nous avons une responsabilité vis à vis de la société.

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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