L’Opéra-Comique a programmé, pour la première fois de son histoire, une “zarzuela”. Il a choisi Coronis, un ouvrage du compositeur espagnol Sebastian Duron (1660-1716), donné du 14 au 17 février 2022.
Pour une découverte, c’est bien une découverte : le mot n’est pas usurpé ! Car, de mémoire de mélomane, on n’a jamais assisté à la représentation d’une zarzuela, un ouvrage lyrique spécifiquement espagnol qui demeurait cantonné en deçà des Pyrénées… jusqu’à aujourd’hui.
Zarzuela : ce mot mérite une explication. Il signifie littéralement, en castillan, “ronceraie” du mot attaché à l’un des lieux de villégiature de la monarchie espagnole dans lequel est né ce genre musical (Palacio de la Zarzuela). Ce genre se caractérise principalement par l’alternance, dans un ouvrage lyrique, de séquences chantées et de séquences parlées, plus exactement “déclamées”. Au demeurant, cette alternance, à l’image des opéras-comiques français, n’est pas systématique ; puisque, par exemple, l’ouvrage qui retient notre attention est intégralement chanté… Démonstration faite qu’en matière d’art lyrique rien n’est figé. Autre singularité de la zarzuela, la quasi totalité des rôles est tenue par des femmes ; en Espagne on ignorait les castrats. Enfin, ce genre musical précède de près d’un siècle l’apparition de l’opéra-comique en France *.



Cette zarzuela a été créée à Madrid entre 1701 et 1706. Elle a été composée par Sebastian Duron (1660-1716) dont l’histoire retient qu’il a notamment été, en qualité de chapelain et de maître de musique, au service de Marie-Anne de Neubourg, veuve de Charles II d’Espagne, exilée en France suite à la guerre de Succession du trône d’Espagne.
Cet ouvrage se présente sous la forme de deux “journées”, comportant deux tableaux chacune. L’argument, puisé dans Ovide – et émanant d’un auteur anonyme- raconte les diverses aventures de la nymphe Coronis, prêtresse de Diane. Elle est convoitée par Neptune, Neptuno, qui a demandé à Triton, son fils adoptif, de l’enlever. Mais celui-ci est lui aussi amoureux de Coronis… Rien ne se passe évidemment comme prévu. Apollon, Apolo, intervient. D’une guerre sans merci entre les Dieux, ce dernier sortira vainqueur et deviendra l’époux de Coronis ! L’ouvrage s’achève sur une fête qui célèbre cette union et celles d’autres couples, dans l’allégresse générale.
Et la musique dans tout cela ? Elle fait sienne ses racines espagnoles, tant dans sa couleur que dans ses rythmes, sa prosodie, mais elle ne dédaigne pas ses influences italiennes.
C’est une alternance d’airs – souvent brefs – et de petits chœurs, le tout soutenu par une riche palette instrumentale où le luth voisine avec la harpe, la viole de gambe, mais aussi le hautbois, le basson et des tambourins variés, sans oublier la présence ponctuelle de guitares et de castagnettes.



Côté mise en scène, Omar Porras a fait le choix – avec la complicité talentueuse d’Amélie Kiritzé-Topor pour les décors, des Ateliers MBV Bruno Fatalot et de Mathias Roche pour les lumières – de souligner visuellement ce qu’il y a de poétique, d’onirique, parfois même de fantasmagorique dans ces guerres fratricides, et en même temps dérisoires, que se livrent les Dieux entre eux, ainsi qu’avec les mortels. De très beaux tableaux se succèdent, comme dans un rêve.
Peut-être abuse-t-on un peu trop des feux de Bengale et d’autres feux d’artifice qui ponctuent chaque apparition des dieux, de Neptuno ou Apolo. Il est vrai que le livret, bien que passablement complexe et même parfois embrouillé, souffre d’une relative faiblesse qui peut justifier, par moments, l’emploi de moyens spectaculaires qui compensent, tant bien que mal, certaines situations et échanges plutôt répétitifs.



Pour incarner cette musique, il fallait de bons chanteurs-acteurs : c’est le cas principalement du formidable Protée de Cyril Auvity et du merveilleux – et attendrissant – Triton, monstre amoureux, drôle et émouvant, magnifiquement composé et chanté – dont quelques délicieux monologues – par Isabelle Druet.
Nous n’oublierons pas de sitôt le savoureux couple formé par le Ménandro d’Anthéa Pichanick (rôle travesti) et la Sirène de Victoire Bunel, deux belles voix qui se chamaillent constamment dans un bel abattage scénique. La déception vient de Marie Perbost : dans le rôle titre, si elle a une belle présence scénique, elle accuse toutefois un déficit de projection, notamment dans les graves, parfois difficilement audibles. Belles tenues vocales et scéniques de l’Apolo de Marielou Jacquard et du Neptuno de Caroline Meng. Les ensembles vocaux sont superbes, ainsi que les danseurs et acrobates qui ont leur part – et non la moindre – dans le succès de ce spectacle.



Le tout est emmené avec fermeté et précision par Vincent Dumestre qui, à la tête de son ensemble Le Poème Harmonique restitue avec faste la belle partition de Duron.
Il ne reste plus qu’à espérer que cette “découverte” ne soit pas sans lendemain, et que, désormais, la porte ayant été entrouverte pour ce genre musical inconnu, (cet objet musical non identifié), d’autres zarzuelas, baroques ou romantiques voient le jour à Paris.
Signalons l’enregistrement par Vincent Dumestre de “Coronis” paru chez ALPHA.
*Pour aller plus loin: les ouvrages de Pierre-René SERNA: le “Guide de la Zarzuela”, “La Zarzuela Baroque” et “La Zarzuela Romantique”, chez BLEU NUIT Éditeur, ces deux derniers dans la collection “Horizons”.